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le-Bel, Charles V et Louis XI, encouragèrent une tendance conforme à leur politique secrète. Peu à peu, le service féodal se trouva désorganisé et insuffisant. Ce fut alors que la royauté s’attribua fièrement la tutelle des intérêts généraux. Sur les champs de bataille, les soldats du roi, troupes réglées et permanentes recrutées à prix d’argent, formèrent le noyau de nos belles armées nationales ; dans l’ordre civil et judiciaire, les hommes du roi, c’est-à-dire les fonctionnaires salariés et révocables, remplacèrent les agens héréditaires de la féodalité. Ainsi se constitua le monarchisme moderne, régime économique dans lequel les services publics furent rémunérés par un appointement fixe en argent, au lieu d’être soldés comme précédemment par le revenu éventuel d’un domaine.

L’obligation d’entretenir une armée ; de soudoyer une administration de plus en plus compliquée, n’était pas une difficulté médiocre, surtout à une époque où on ignorait les moyens d’activer la circulation du numéraire. Les ressources particulières du souverain étaient bornées : le morcellement du territoire, l’antagonisme des provinces, ne permettaient pas même de songer à l’établissement d’un budget national. La royauté n’était pas alors, comme elle le devint plus tard, une incarnation de la puissance publique, et sa voix eût été méconnue, si elle eût réclamé loyalement, et au nom de la patrie commune, que chacun supportât un impôt proportionné à ses ressources. Les intendans de la couronne ne parvenaient donc à équilibrer les dépenses et les recettes qu’à force d’empiètemens, de subterfuges et d’expédiens imaginés au jour le jour. Au produit primitif du domaine royal s’ajoutèrent la taille des gendarmes pour l’entretien des troupes réglées, les droits de franc-fief, ou subside de guerre fourni par les fiefs qui n’étaient plus desservis, les droits d’amortissement payés par les roturiers acquéreurs de fiefs, les bénéfices souvent frauduleux sur les monnaies, la composition des juifs et des lombards, les cotisations des francs-bourgeois, les amendes et les confiscations. Une infinité de redevances, perçues de gré ou de force, constituèrent à la longue un budget de recettes assez respectable. En somme, prendre partout et autant qu’on pouvait était la seule maxime du souverain ; se soustraire autant que possible aux charges publiques était la première loi des sujets. Les troubles civils du XVIe siècle, les interminables guerres du siècle suivant, les dilapidations, les prodigalités, l’insouciance coupable, ne firent qu’envenimer le désordre des finances, qui fut la plaie de l’ancienne monarchie.

À la mort de Louis XIV, l’impôt perçu par le fisc royal s’élevait à