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mouvement graduel de la science administrative dans les œuvres de ceux qui en ont été les maîtres, on voit éclore, pour ainsi dire, les doctrines et les lois qui nous régissent, et, tout en apprenant la théorie, on se familiarise avec les difficultés de la pratique. L’idée de réunir en collection les écrits des économistes les plus célèbres, de façon à en former une sorte d’encyclopédie économique, fait donc honneur à l’éditeur qui l’a conçue : pour notre part, nous applaudissons à une entreprise dont les publications successives nous fourniront matière à d’intéressantes études.

Avant la formation des écoles systématiques qui ont reconnu pour chefs Quesnay et Smith, les écrivains politiques, attribuant naïvement les misères de leur temps au désordre des finances, ou à la pénurie des espèces, concentraient leurs méditations sur l’impôt et les mouvemens du numéraire. C’est en mémoire de cette tendance qu’on les qualifie aujourd’hui d’économistes financiers. Cette première série, confiée à l’intelligente révision de M. Eugène Daire[1], reproduit cinq publicistes, dont les écrits, rares et négligés de nos jours, ont fait grande sensation au commencement du dernier siècle : Vauban, plus instructif qu’aucun autre de ses contemporains sur l’état de la France pendant la seconde période du siècle de Louis XIV ; Boisguillebert, qui entrevit les vérités fondamentales de la science ; Law, le hardi financier du régent ; Melon, le théoricien du système mercantile, et Dutot, praticien expérimenté, qui eut l’honneur de poser les vrais principes sur la nature des monnaies, et sur le rôle qu’elles accomplissent dans la circulation.

Accoutumés aujourd’hui au mécanisme régulier de nos institutions fiscales, à une répartition des charges équitable ou du moins jugée telle par la majorité des théoriciens, à une perception facile et bienveillante, à une comptabilité que les autres nations nous envient, à une publicité surabondante[2], nous avons peine à concevoir la situation financière de l’ancienne monarchie. En étudiant la gestion de la fortune publique, on éprouve un vague frisson d’épouvante, comme au récit de quelque brigandage ténébreux. Ne nous hâtons pas toutefois d’accuser nos pères : transportons-nous dans le monde où ils ont

  1. Cette première série est comprise en un seul volume grand in-8o, compact, de plus de 1,000 pages. Chez Guillaumin, libraire, galerie de la Bourse, 5.
  2. Il a été distribué, pendant l’avant-dernière session, à chacun des hommes politiques, 10,230 pages de comptes et de documens, presque tous relatifs aux finances.