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L’INDE ANGLAISE.

l’expédition finie, car un des grands mérites de la politique de la compagnie, c’est d’être prompte : le coup est porté avant qu’on ait vu l’étincelle, parce que, quand les armées marchent, la diplomatie, pour choisir une expression honnête, a tracé la route. Or si les États-Unis, qui couraient, il y a dix ans, à toute vitesse dans la voie d’une étonnante prospérité, se sont arrêtés déjà, faute d’avoir prévu ces accroissemens subits, que doit-on penser de l’avenir d’une puissance aussi faiblement appuyée que celle des Anglais dans l’Inde, et fatalement poussée à s’agrandir encore ? D’un côté, elle rencontre des ennemis qu’elle n’ose plus attaquer, les Birmans : la première campagne a coûté trop cher en hommes et en argent ; de l’autre, des princes qui commandent à des tribus contre lesquelles (au dire des officiers) ne peuvent lutter ses soldats indigènes : les émirs du Scinde ; tribus turbulentes qu’on a imprudemment cherché à conquérir, après avoir violé les traités d’alliance à plusieurs reprises. Dans toute la partie du nord-ouest, les Anglais ne peuvent rien toucher sans se trouver en contact plus ou moins immédiat avec la Perse ; la Perse, c’est presque la Russie. Il y a un autre terrain encore où cette dernière puissance peut engager incessamment la lutte avec l’Angleterre ; nous voulons parler de la Chine. La Russie, seule privilégiée entre les nations d’Europe à la cour de Péking, ne peut manquer de s’opposer de toutes ses forces aux envahissemens que les Anglais tentent sur le littoral. Dès-lors on sent de quel côté doit être l’avantage. La zone supérieure de l’Asie entière appartient à la Russie mieux que le cœur de ce riche continent n’appartient à l’Angleterre ; quand la compagnie aura déblayé peu à peu son territoire des princes et des dynasties encore debout, elle se trouvera face à face avec un peuple qui sera resté le même, que la misère éloignera de plus en plus des conquérans. Quand auront cessé d’exister ces petites cours qui animent çà et là cette société mourante, qui abritent le résident en lui prêtant de leur autorité, où seront les points d’appui ? Tôt ou tard, ils disparaîtront, ces radjas, ces nababs dont la compagnie a besoin pour diviser le pays, pour fomenter des intrigues ; cet immense territoire ne sera donc plus qu’une seule ferme, exploitée par un nombre infiniment petit de propriétaires. Alors qui accusera-t-on des maux dont auront à souffrir tant de millions d’habitans ? Si quatre officiers européens ont pu à eux seuls consolider le royaume de Lahore pour un temps, ne peut-il pas se rencontrer des aventuriers qui se mettent à la tête des populations soulevées ? Avec leur armée indigène, les Anglais ont répandu autour d’eux l’esprit militaire plus qu’ils n’auraient dû peut-être, et cela faute d’avoir assez