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L’INDE ANGLAISE.

nord, promette aux khans, quitte à les tromper ensuite, aux hordes des montagnes, une augmentation de territoire et le pillage des grandes villes ? Alors comment trouver des ressources dans une population mécontente, subitement prise d’une terreur mêlée d’espérance ? comment compter sur le dévouement des cipayes, attaqués par des troupes disciplinées ayant au même degré qu’eux l’obéissance passive, et de plus qu’eux la force physique ? À voir comment elle agit, on supposerait facilement que la compagnie anglaise a hâte de jouir de la brillante position qu’elle a su se faire. « C’est notre retraite de Russie que nous ferons en quittant le Caboul, » disait un officier anglais lors de la première expédition. Ce mot est sérieux ; il condamne les armées anglaises à pousser toujours en avant, jusqu’à ce qu’elles rencontrent l’obstacle qui les fera reculer indéfiniment.

Non seulement en Europe, mais dans l’Inde, il y a plus d’un esprit sérieux que l’aspect d’une si éclatante prospérité inquiète. La population qui dort au pied du Vésuve, enivrée par la magnificence du climat, s’épouvante au premier nuage de fumée que lance le volcan : la sécurité dont jouissent aux bords du Gange les Anglais conquérans est troublée par le plus léger murmure qui se fait entendre au fond des provinces. Il ne faut qu’une étincelle pour enflammer ces poudres un peu mouillées, il est vrai. Un jour que nous traversions la plaine qui sépare Chaul des Gatthes occidentales, il nous arriva de faire halte près des tentes où campaient de jeunes officiers de la compagnie. Après le déjeuner et la sieste, ceux-ci, ennuyés de rester dans l’inaction, s’arment chacun d’une des longues lances piquées par l’escorte autour du pavillon, et s’en vont, vêtus de larges caleçons blancs, transpercer les chiens du village. Quand l’animal restait fixé au fer de la lance, l’officier l’en détachait en le poussant du pied. Ce brutal plaisir souleva l’indignation des Hindous ; ils reculaient devant les chiens sanglans qui venaient expirer entre leurs jambes. — Hélas ! nous dit un compagnon de voyage anglais et employé de la compagnie, c’est par de semblables niaiseries qu’on rappelle aux populations le souvenir du joug de l’étranger. Et réfléchissant en lui-même aux actions bien plus graves que cette pécadille ramenait dans son souvenir, il ajouta : Qui sait comment nous expierons un jour notre hautaine puissance ?

Les causes de cette future expiation, qu’il prévoit aussi, c’est dans l’examen impartial des évènemens, dans l’appréciation des systèmes financiers et administratifs, que M. de Warren les découvre ; il étudie surtout, et c’est là une des parties les plus intéressantes de son livre, les relations de la compagnie avec ses sujets indirects ; il passe en revue