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dans le cas où cette puissance tomberait sur l’Hindoustan par le nord de l’Asie, il nous paraît douteux qu’elle fît pire, mais peu probable qu’elle fît mieux que la compagnie anglaise. Doit-on remettre entre les mains de la Russie, même par hypothèse, le sort des rois et des peuples dont on désire sincèrement le bien-être ? Toutefois, quand on est dans l’Inde, le contraste de la faiblesse matérielle des Anglais avec la force positive et numérique des Hindous est si frappant, qu’on se demande si les choses dureront toujours ainsi ; en tournant ses regards autour de soi, on voit la Russie seule apparaître sur l’horizon : c’est donc à elle qu’on fait signe à tout hasard. Il faut convenir aussi que la présence d’un officier cosaque à Bokara, d’un aventurier russe vers le pays des Afghans cause dans les trois présidences une rumeur considérable ; la compagnie est trop habile dans l’intrigue pour ne pas s’émouvoir au contact même passager d’un sujet du czar avec quelques-uns de ces khans auxquels elle n’a pas fait peur encore. Mais au point de vue français, les récriminations contre un gouvernement machiavélique s’adressent plus volontiers à l’humanité tout entière ; dévoiler un fait honteux, le mettre en évidence sous les yeux du monde, c’est châtier le coupable par sa faute même.

Voilà un siècle et demi que la compagnie de commerce, s’écartant de son but premier et principal, travaillait à se transformer en une compagnie de gouvernement. Les intérêts devinrent si compliqués, les relations pacifiques et hostiles avec les pays voisins se multiplièrent tellement, qu’il devint impossible de diriger du fond de l’Europe cette immense machine administrative. Le ministère anglais dut renoncer à se charger des affaires d’un gouvernement qui exigeait des études spéciales et parfois des actes qui ne pouvaient dignement émaner d’un cabinet européen. Par un acte de 1833, « la compagnie, renonçant au monopole du commerce avec la Chine, s’est interdit aussi tout négoce, et a été solennellement investie du gouvernement immédiat de l’empire hindou-britannique jusqu’au 30 avril 1854. Une royauté à la fois représentative et aristocratique, une corporation qui compte parmi ses membres des femmes et même des étrangers, régit cet empire colossal. Trois mille cinq cent soixante-dix-neuf possesseurs d’actions principales confient le soin de leurs intérêts à la cour des propriétaires d’où émane à son tour la cour des directeurs ; cette dernière cour s’assemble une fois par semaine et vote au bulletin secret : voilà l’organisation fondamentale de la compagnie. Le président et le vice-président, assistés, s’ils le jugent convenable, d’un troisième collègue composent le comité secret qui, réuni et subordonné au bureau, dé-