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s’élevait alors sur une base si puissante, qu’il fallut à nos rivaux quarante ans d’efforts et de victoires pour se placer à la même hauteur. »

Après avoir arrêté un instant nos regards sur ce passé trop brillant, nous traverserons tout un siècle pour examiner les états du nizam sous leur point de vue actuel, subissant le protectorat de la compagnie anglaise, bien autrement onéreux que la direction toute puissante de Bussy. Le régime subsidiaire auquel est soumis aujourd’hui le pays d’Hyderabad mérite d’être apprécié. C’est à la fois une occupation acceptée, une alliance dont tous les avantages sont pour la plus forte des deux parties contractantes, et qui fait passer sans secousse sous le joug de la dépendance le pays allié. Quand on défriche les forêts d’Amérique, on cerne les arbres ; au moyen d’une forte entaille, on arrête la sève au-dessus des racines, la tige se dessèche, et le tronc, miné à sa base, tombe renversé au premier vent d’hiver. La compagnie procède de la même façon ; tout en laissant le sceptre aux mains d’un souverain nominal, elle l’isole de son peuple, lui impose des ministres, le sépare de ses armées, si bien qu’au moindre souffle d’une colère imprudemment provoquée, le roi sent crouler ce trône sans appui, sur lequel il ne peut se soutenir que dans une immobilité absolue, la ruine sera d’autant plus rapide, le pays passera d’autant plus vite sous la dépendance immédiate de la compagnie, que le nabab se prêtera moins docilement au triste rôle qu’on lui fait jouer. Parfois aussi la compagnie, occupée à combattre des ennemis dangereux, retarde le moment où elle ouvrira ses bras à de paisibles alliés, fatigués d’obéir à l’intérieur aux caprices d’un monarque abruti par la séquestration. Voici ce qu’écrivait sir Henry Russell, résident à la cour du nizam de 1811 à 1820, dans une lettre adressée aux directeurs : « Une alliance avec nous, basée sur le système subsidiaire, si elle contribue à l’agrandissement de notre pouvoir, amène aussi inévitablement la destruction finale du gouvernement qui s’y soumet. Cela tient à la démoralisation produite par un état de dépendance dans le caractère du prince et de ses ministres. Les qualités qui conviennent au ministre d’un peuple libre sont d’une nature trop noble, trop hardie, trop patriotique, pour trouver place dans le cœur du ministre d’un peuple vassal et esclave. Le prince, quel que soit son caractère, qui n’a rien à craindre de ses sujets ou de l’étranger, ne se respectera pas long-temps lui-même ; le meilleur homme du monde deviendra un détestable ministre, s’il conserve son pouvoir après que sa responsabilité aura cessé… Quand le mal aura atteint un certain degré, un seul et dernier remède se présentera, ce sera de faire table rase, d’abattre