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REVUE. — CHRONIQUE.

aucune de ses parties, aboutir à un résultat immédiat ; mais pour les esprits réfléchis, il a nettement caractérisé la position, et par cela même il l’a changée. La chambre a été tellement ferme sur les principales questions extérieures, qu’il n’y a désormais aucune illusion à entretenir sur la possibilité de tourner ces graves difficultés, et que le cabinet doit accepter la politique de la chambre dans l’esprit et dans les termes même où elle entend qu’elle soit faite. D’un autre côté, des hommes considérables de l’opposition ont exposé, sur les grands intérêts du pays, des vues entièrement nouvelles. Ce sont là des tendances vagues encore, mais qui ne peuvent manquer de se préciser plus nettement ; ce sont des germes que le temps développera et que l’avenir fera éclore.

On ne saurait nier que le cabinet n’ait ouvert la session dans les conditions les plus favorables pour rallier et accroître la majorité qui l’appuie depuis trois ans. La tranquillité est profonde, les lois sont partout obéies, aucun intérêt n’est en souffrance, et nulle complication extérieure n’est venue, depuis six mois, susciter d’embarras sérieux au ministère. Le cabinet a fait annoncer aux chambres dans le discours de la couronne l’établissement de l’équilibre financier, annonce que les explications données par M. Lacave-Laplagne ont confirmée de la manière la plus satisfaisante. Aucune question de réforme n’est arrivée à maturité et la gauche était contrainte de vivre sur des redites qui enlèvent à ses journaux toute action puissante.

Dans un tel état de choses, l’avantage était assuré au cabinet dans le débat intérieur. Aussi, en abordant la tribune après dix-huit mois de silence, M. Thiers s’est-il gardé de réclamer des mesues législatives déterminées, ou des modifications profondes dans la conduite générale du gouvernement. Il s’est beaucoup moins occupé du pays que de la chambre, et s’est attaché à établir, par les précédens de la session dernière, que le ministère ne possédait pas dans le parlement une base d’opérations assez large pour exercer une action utile et puissante. Après avoir constaté que la majorité le laissait vivre sans lui permettre de gouverner, il a montré l’importance qu’aurait pour le pouvoir lui-même et pour la liberté de son action l’union des deux centres, si elle pouvait un jour être réalisée dans des conditions qui n’imposassent de sacrifices d’honneur ou de principe ni à l’un ni à l’autre. Ne voulant pas s’engager dans des développemens que sa position personnelle aurait rendus plus difficiles, l’habile orateur s’est borné à prendre pour devise l’association de la pensée du progrès à celle de la conservation.

Si M. Thiers avait développé ce thème à la session dernière, il aurait été de nature à faire une grande impression à la chambre, et peut-être à déplacer immédiatement la majorité. La législature était nouvelle, les engagemens n’étaient pas pris, les fautes commises dans de récentes transactions diplomatiques étaient alors un embarras fort sérieux, et pouvaient paraître un obstacle aux négociations dont la chambre avait imposé le principe au cabinet comme une condition formelle de son concours : tout cela était de nature à décider un changement qui eût détendu la situation sans la modi-