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DE LA QUESTION COMMERCIALE EN ANGLETERRE.

la rivalité étrangère et des tarifs hostiles, peut être poussée jusqu’à occasionner une production en disproportion avec les besoins des marchés étrangers, et conduire ainsi aux funestes résultats que nous venons d’indiquer. Ils ne prennent pas garde que dans un pays comme l’Angleterre, dont l’industrie agit sur des matières premières qu’elle est obligée d’importer du dehors, l’activité de cette industrie, l’emploi du capital et du travail sont strictement déterminés par la quantité d’alimens et de matières premières produits pour l’exportation dans les pays étrangers. Pour que la liberté du commerce pût étendre en Angleterre l’emploi du capital et du travail au point que la concurrence intérieure, à quelque degré d’intensité qu’elle fût portée, ne déduisit pas les revenus de l’industrie, il faudrait que le capital et le travail employés dans les pays étrangers à produire les matières premières s’accrussent aussi rapidement que le capital et le travail employés en Angleterre à la préparation des marchandises manufacturées. Or ce n’est pas ce qui arrive : la supériorité industrielle que l’Angleterre conserve encore porte en elle-même un principe de réaction. Un plus prompt accroissement de richesses y crée la tendance à une production disproportionnée. Les capitaux employés en Angleterre à la production des marchandises manufacturées s’accroissent plus rapidement que les capitaux employés dans les autres pays à produire les objets destinés à être échangés pour ces marchandises. L’accroissement de l’offre dépasse celui de la demande. La valeur des marchandises anglaises diminue relativement aux frais de production qu’elles ont coûtés, et la conséquence nécessaire est une diminution du fonds d’où les profits et les salaires sont dérivés.

Voilà ce qui arriverait forcément encore, même dans la supposition arbitraire et si aimée des Anglais, que le royaume-uni concentrerait en lui toute la puissance manufacturière du monde, et que les autres peuples se voueraient exclusivement à la tâche de lui fournir les matières premières sur lesquelles agit son industrie : mais cette supposition est bien éloignée de la nature des choses et de la réalité. Les principaux états du monde, ayant déjà chez eux des élémens d’industrie dont les progrès avaient été retardés jusqu’à ce siècle par l’inattention et l’ignorance de leurs gouvernemens, par les vices de leurs constitutions politiques, ou par la guerre, n’ont pas voulu abdiquer bénévolement les conditions de puissance et de richesse que l’industrie assure. Ils ont cultivé leurs manufactures, et, pour les mettre à même d’atteindre progressivement au degré auquel l’Angleterre a vu s’élever les siennes, ils les ont momentanément aidées contre la concurrence an-