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de M. Billault, par les profonds et lumineux aperçus de M. Thiers, par les explications atténuantes de M. Guizot, par les harcelantes interpellations et les tranchantes saillies de M. Dupin, où le sentiment national éclatait si heureusement dans sa rude spontanéité. On ne conçoit pas, lorsqu’on a été témoin de cette sage et brillante discussion, comment il avait pu entrer dans l’esprit de quelqu’un de vouloir conduire une assemblée d’hommes sensés à recommencer une de ces alliances dont on ne peut démontrer l’utilité, puisqu’on ne saurait les définir, où l’on annonce d’avance la confiance, — chose puérile, puisque la confiance demande des gages précis et ne se justifie que par des résultats, — chose encore plus périlleuse, puisque, faisant contracter un bail à terme indéfini par une sorte de blanc seing moral, elle endort ceux qui en sont dupes dans une fausse sécurité, et les conduit par l’imprévoyance à d’infaillibles déceptions.

La chambre repousse cette alliance indéterminée, cette alliance de laisser-aller et d’aveuglement ; elle fait plus, et c’est surtout le point qu’il importe à mes yeux de bien mettre en relief. On lui demandait de professer pour l’Angleterre une sorte de sentiment équivalent à ce qu’est une cordiale sympathie, une affectueuse et réciproque bienveillance entre les individus. C’est ici que s’est placée la distinction, profondément juste, tracée par un trait piquant de M. Dupin. Les sentimens personnels que les deux souverains et les deux ministres échangent entre eux, n’ont rien de commun avec ceux que les deux peuples peuvent éprouver l’un pour l’autre. Que la reine d’Angleterre fasse une visite au roi des Français, que M. Guizot soit l’ami de lord Aberdeen, ce sont des choses que la France estimera très heureuses, si on sait les faire tourner à son avantage ; mais cela ne prouve pas qu’elle doive avoir la moindre inclination de cœur pour l’Angleterre, parce que les sentimens des peuples sont réglés surtout par leurs intérêts. On peut faire un pathos plus ou moins éloquent sur les mystères de l’entente cordiale et les caractères de la vraie paix : les intérêts veulent attacher un sens précis aux mots, pour savoir à quoi les mots les engagent. L’intimité cordiale découle-t-elle naturellement, comme paraissaient le donner à entendre certaines expressions de M. le ministre des affaires étrangères, des rapports fréquens, des affaires nombreuses que deux peuples ont entre eux ? Les États-Unis nous offrent, à cet égard, un exemple remarquable. Ils ont avec l’Angleterre des rapports plus nombreux, des intérêts plus mêlés que nous. La plus grande partie de leur commerce est engagée avec le royaume uni ; ils ont des frontières contiguës avec les colonies an-