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siècle, et de l’enseignement terrible de nos révolutions ils n’ont gardé que l’amertume des souvenirs, comme si l’expérience devait toujours se perdre le lendemain de la leçon ; puis, au-dessous de l’épiscopat, quelques prêtres souvent compromis vis-à-vis de l’église elle-même ; des théologiens journalistes, des ultramontains censurés par le pape, des humanitaires romantiques qui prennent l’exagération pour le progrès, des radicaux que la démocratie repousse, et surtout des légitimistes.

Qu’y a-t-il donc au fond de cette agitation cléricale ? Des ambitions rétrospectives et impossibles. On a rêvé la théocratie de Grégoire VII et de Boniface VIII. On veut prendre une bonne part du gouvernement en attendant qu’on le garde tout entier ; et pour atteindre à ce but on cherche à démontrer que l’état est impuissant à régir la société, on demande l’intervention active de l’église dans les affaires du monde, au nom de la liberté, au nom de la supériorité de l’église, au nom de sa dignité, de la force d’unité et d’action qui est en elle ; pour lui donner la souveraineté, on répète qu’elle est esclave. Ces ambitions sont-elles légitimes ? ces plaintes sont-elles fondées ? Peut-on servir ainsi la cause des croyances sérieuses ? Examinons, et, sans discuter de vaines théories, restons sur le terrain des faits.

On réclame la puissance pour l’église, au nom de la liberté des peuples ; en a-t-on le droit ? L’histoire des derniers siècles est là pour répondre. Sans doute, et le nier serait un blasphème, l’Évangile a donné la liberté au monde en même temps qu’il lui révélait la pitié. Sans doute aussi l’église marchait à la tête de la civilisation et des conquêtes libérales des peuples, quand les évêques déclaraient en présence du servage féodal que les hommes ne sont serfs que de Dieu ; mais peu à peu elle a déserté cette mission pour s’allier avec l’autorité plus ou moins despotique des gouvernemens qui vivaient auprès d’elle. Tandis que dans les choses de l’intelligence elle se préoccupait exclusivement de la foi aux dépens de la conception, elle sacrifiait, dans les choses de ce monde, la liberté à l’autorité, et en même temps que la science croissait en dehors du dogme, la liberté se développait en dehors de la religion, de sorte que chacun de ses progrès semblait une victoire contre l’église. En prenant comme corps politique sa part des abus de la vieille monarchie, elle fut confondue dans sa cause, enveloppée dans sa défaite, frappée avec elle ; si les peuples se sont montrés inquiets, c’est qu’ils prenaient leurs souvenirs pour des pressentimens, et qu’ils croyaient voir à côté des prêtres les vaincus de la veille. Ce sont là, en histoire, des faits élémentaires ; par malheur, l’église a le tort grave d’oublier obstinément les faits humains de son passé, et en cherchant aujourd’hui à se constituer en parti, en voulant intervenir de nouveau dans les affaires politiques, elle méconnaît le principe qui fait dans le présent sa sécurité et sa grandeur.

L’église, dit-on, est asservie, tyrannisée, et l’on a même écrit récemment qu’on reviendrait bientôt au temps de Dioclétien, si l’on ne prenait garde. Peut-être trouverait-on d’ardens courages qui s’offriraient pour le martyre,