Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/490

Cette page a été validée par deux contributeurs.
486
REVUE DES DEUX MONDES.

n’est plus aujourd’hui qu’une ruine dont les dernières pierres s’écroulent. Dans les départemens du nord, les journaux n’ont point de ces haines intolérantes, ce qui tient sans doute à l’absence de cultes dissidens. Ils sont avant tout fort ardens en fait de légitimisme. Cette opinion est représentée dans le département de la Somme, par la Gazette de Picardie, et dans le département du Nord par la Gazette de Flandres et d’Artois, l’Émancipateur et la Feuille de Douai. La Gazette de Picardie s’occupe peu du catholicisme, et n’a d’influence que sur le torysme campagnard de la province, qui du reste est inoffensif en politique et passablement indifférent en religion. Les journaux du nord au contraire sont catholiques très ardens et fortement imprégnés parfois de l’esprit belge. Ils exercent dans la campagne une certaine influence, mais dans les villes leur action est complètement effacée par celle des journaux de la gauche.

Au milieu de cet engagement général, les jésuites ne pouvaient rester inactifs ; mais les jésuites sont prudens, et pour insulter le pays avec tous les bénéfices de la sécurité, ils se sont placés au-delà de la frontière. C’est à Fribourg qu’ils ont établi leur quartier-général ; c’est là qu’ils publient leur journal l’Invariable, nouveau Mémorial catholique. Jamais la haine contre la France, ses institutions, les hommes qui font sa force et sa gloire, ne s’est exhalée en termes pareils ; l’Invariable porte pour épigraphe : Ubi crux, ibi patria. Et en effet il n’y a que des hommes sans patrie qui puissent se permettre de pareils blasphèmes contre un grand peuple auquel ils ont appartenu peut-être. Le clergé français a-t-il donc peur des jésuites jusqu’à ne point oser protester contre ces inqualifiables pamphlets qu’on propage effrontément dans les diocèses du midi ?

La force et l’avenir ne sont pas de ce côté : dans les questions scientifiques, comme dans les questions littéraires, les journaux les plus avancés de la réaction ultra-catholique ont compromis leur influence par l’exagération et une hostilité systématique ; dans les questions religieuses ils méconnaissent complètement et l’histoire du passé, et l’esprit de leur temps, et l’esprit même du christianisme ; car leur prosélytisme se fonde avant tout sur l’exclusion, et en même temps qu’ils veulent dominer dans l’enseignement, pour régner plus tard dans l’état, ils cherchent à confisquer le ciel à leur profit, en mettant au ban de la société chrétienne les hommes qui n’ont pas leurs ardeurs. En politique, ils s’appuient sur des principes morts, d’une part sur le légitimisme, de l’autre sur les doctrines ultramontaines. Mais on ne ressuscite pas les principes qui ont fait leur temps. La révolution de 1830 a jugé sans appel le dogme du droit divin, comme la révolution de 89 a décidé dans la société civile la prédominance de l’état sur l’église. De scission en scission, l’opinion légitimiste en viendra nécessairement à un effacement complet ; les dissidences des journaux qui la représentent, l’extinction successive des gazettes, ne sont certes pas de nature à rassurer cette opinion sur son avenir. En dehors d’un cercle restreint, où il s’hérite et se perpétue