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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

Ici c’est la question religieuse qui domine, et nous avons vu comment elle est comprise. Dans les autres journaux quotidiens qui se sont ralliés au parti ultra-catholique, la religion n’est qu’un appendice assez insignifiant de la politique. L’autel n’est là que pour étayer le trône. La cause de Dieu est devenue solidaire de la cause de César. Voyons donc ce qu’on veut pour César et ce qu’on veut pour Dieu.

À l’extrême avant-garde, nous rencontrons M. de Genoude et la Gazette de France, car M. de Genoude a l’ubiquité dans le mouvement catholique. Nous l’avons vu voltairien, traducteur, commentateur de la Bible, presque poète, apologiste, érudit, touriste, romancier, nous le retrouvons encore ici avec ses horizons multiples et changeans, publiciste, et tout à la fois légitimiste et radical. Comme légitimiste, M. de Genoude est secondé à la Gazette par MM. de Lourdoueix, de Beauregard et Nettement, qui marchent au premier rang des défenseurs du dogme monarchique de la restauration. La Gazette s’adresse, dans son parti, à ceux qu’on pourrait appeler les politiques, c’est-à-dire à ceux qui ne reculent, pour le triomphe de leur cause, ni devant les moyens extrêmes, ni devant les transactions compromettantes. M. de Genoude, et c’est lui-même qui nous l’apprend, ayant été forcé de choisir entre la presse et la chaire[1], et de renoncer à l’une ou à l’autre, a choisi la presse, immolant ainsi le prêtre à l’homme de parti. Purement idéologue, intelligente, mais intelligente sans être logique, la Gazette, après la révolution de juillet, a compris que, pour se mêler à la vie nouvelle, il fallait invoquer d’autres principes que ceux qu’elle invoquait depuis quinze ans. M. de Châteaubriand avait rêvé l’alliance de la liberté moderne et de la vieille monarchie ; M. de Genoude, qui n’a jamais le mérite de l’initiative, a parodié M. de Châteaubriand, mais en faussant, en exagérant sa pensée. Il a tenté de se rallier par la démocratie, et de concilier dans un éclectisme malencontreux quatre-vingt-neuf et dix-huit cent quinze. Depuis lors, la politique de la Gazette n’a été qu’une antinomie, un non-sens perpétuel. Les radicaux ont ri de sa démocratie ; les légitimistes l’ont accusée de jacobinisme ; elle s’est trouvée ainsi constamment placée entre une profession de foi radicale et une rétractation royaliste, et elle a répondu tour à tour aux journaux légitimistes qu’elle n’était pas démocrate, aux journaux radicaux et conservateurs qu’elle n’était pas légitimiste, et même qu’elle ne l’avait jamais été. De la sorte elle a dépensé toute sa force et son activité à justifier, à commenter, à désavouer ses doctrines, et les légitimistes raisonnables et sincères lui ont reproché de compromettre, par la nature et les tendances de ses attaques contre le gouvernement, les plus simples notions du pouvoir. Déconsidérée dans son propre parti, qui ne l’emploie que comme une sorte de ma-

    autres journaux doit faire timbrer plus de feuilles et obtenir ainsi une moyenne plus forte qu’elle n’est réellement, sans avoir pour cela quotidiennement une plus grande circulation.

  1. Gazette de France, no du 22 octobre 1843. Lettre à M. de Locmaria.