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poser à des esprits révolutionnaires le joug de l’autorité religieuse ; Rome enfin, parce qu’elle craignait un schisme, et qu’à côté des intérêts de l’église, elle avait d’autres intérêts encore à ménager. De là une guerre sourde partie de tous les points : procès de la part du pouvoir, anathème de la part de Rome, proscription de la part de l’épiscopat. MM. de Lamennais, Lacordaire et de Montalembert se rendirent auprès du saint-siége pour demander, au nom de la liberté, un appui que le saint-siége leur refusa. C’était de la chevalerie rétrospective ; il fallut se rétracter, et se séparer après amende honorable. MM. de Salinis et de Scorbiac allèrent professer à Juilly, M. de Coux à l’université de Louvain ; M. de Montalembert reçut un bref du pape qui le félicitait d’avoir reconnu ses erreurs, et il entra au bercail de l’Univers. Quant à M. de Lamennais, il prit fièrement la route des abîmes.

L’Avenir avait remué des idées ; aujourd’hui les journaux qui s’annoncent comme les gardiens de la croyance s’en tiennent tous, sans exception, à des déclamations vagues et sentimentales, à des dithyrambes sur la renaissance religieuse, qui sont contredits le lendemain par des doléances sur l’impiété du siècle. C’est une véritable anarchie, où le catholicisme est avant tout exploité comme moyen d’opposition politique ; en effet, tous les journaux de la réaction catholique ne sont unanimes qu’en un point, la guerre au pouvoir établi. Les uns sont franchement, ouvertement hostiles. Les autres, tout en s’abstenant d’attaques compromettantes, n’acceptent néanmoins le gouvernement qu’avec des restrictions mentales, sous bénéfice d’inventaire, et, comme le dit un de ces journaux, en réservant les droits. Le légitimisme plus ou moins avoué, telle est l’opinion dominante : c’est là un fait qu’on ne cherche plus à déguiser, et comme preuve il suffira de citer cette phrase de l’Univers, qui, à défaut d’autre science, connaît du moins son parti : « Qui dit royaliste en France dit presque toujours légitimiste et catholique[1]. L’univers, on le sait, est aujourd’hui le moniteur officiel du néo-catholicisme ; à ce titre, la première place lui appartient dans cette statistique de la presse religieuse. Examinons donc son passé, ses doctrines, ses tendances actuelles.

L’Univers fut fondé en 1832 par M. l’abbé Migne, qui dirige aujourd’hui, comme nous l’avons vu, l’imprimerie catholique du Petit-Montrouge. Alarmé du schisme que les doctrines de M. de Lamennais avaient jeté dans le clergé, M. Migne voulait trouver un moyen terme entre les opinions extrêmes : il déclarait dans son programme qu’il ne servirait aucun parti ni politique, ni religieux, qu’il était seulement catholique, et qu’en jugeant les doctrines, il couvrirait les personnes du manteau de la charité. L’Univers, depuis, s’est étrangement écarté de son point de départ. Instruits par le naufrage récent de l’Avenir, les rédacteurs du nouveau journal se gardèrent de l’ardeur qui avait perdu leurs devanciers, et ils fondèrent le succès de leur œuvre sur sa médiocrité même. L’Avenir avait tenté d’être l’organe de l’église, l’Univers affecta de n’être que l’écho de la sacristie ; la plupart des articles étaient

  1. No du 1er  septembre 1843.