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LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE.

en action plus odieux au père des hommes qu’un serment prononcé par habitude, ou quelques paroles insensées dont la misérable audace ne saurait atteindre le créateur du ciel et de la terre. Le même écart de l’esprit religieux se retrouve dans cette anecdote rapportée par Joinville, et qui pourrait faire juger sévèrement de la tolérance de saint Louis : — Un chevalier, qui assistait à une conférence destinée à convertir des juifs, demanda brusquement à un rabbin s’il croyait à un des mystères de la religion chrétienne ; celui-ci répondit qu’il n’y croyait point. Alors le chevalier, pour tout argument, lui asséna un grand coup sur la tête, dont le juif fut assommé. Le roi approuva fort cette étrange sorte de syllogisme, et dit : « L’homme lay (le laïque), quand il entend parler de la foi chrétienne, ne doit la défendre que de l’épée, de quoi il doit donner parmi le ventre tant comme elle y peut entrer. »

Hâtons-nous de trouver dans Joinville la preuve que, si saint Louis paya parfois un tribut aux idées fanatiques de son temps, il savait s’élever au-dessus de ces idées par une tolérance qui devançait les lumières du clergé contemporain. Comme, à la suite de la croisade des albigeois, certains propriétaires du midi refusaient une absolution qu’on voulait leur vendre au prix de leurs terres, des évêques de France s’en plaignirent au roi, lui disant que la religion périssait entre ses mains, et lui demandèrent de contraindre les récalcitrans. Saint Louis, le pieux saint Louis, finit par leur répondre « qu’il ne le feroit, car ce seroit contre Dieu et toute raison s’il contraignoit les gens à se faire absoudre quand les clercs leur faisoient tort. » Le bon sens et l’humanité de ces paroles avaient quelque mérite dans un temps si voisin des barbaries de Montfort.

Saint Louis, pour parler de la sorte, n’avait qu’à écouter son ame. Jamais il n’en fut de plus tendre. Après la bataille de la Massoure, ayant demandé des nouvelles de son frère, le comte d’Artois, qui y avait péri, on lui répondit que ce frère bien-aimé était en paradis, et on s’efforçait de distraire sa douleur en le félicitant sur les avantages qu’il retirerait de cette bataille. « Le roi répondit que Dieu fust adoré de ce qu’il lui donnoit, et lors lui tombèrent des yeux des larmes moult grosses. » Saint Louis ne bornait pas cette tendresse de cœur à ses proches ; l’esprit du véritable christianisme lui enseignait le prix de la vie des hommes. Près de l’île de Chypre, le navire qui portait le roi reçut un coup de mer violent. Les mariniers et les barons lui conseillaient de descendre à terre. « Lors dit le roi : Seigneurs, j’ai ouï votre avis et l’avis de mes gens ; or, vous dirai-je le mien, qui est tel :