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champs sont semés de morceaux de laves si rapprochés, que pour y planter la canne à sucre il faut faire un trou avec une barre de fer ; mais la fertilité du sol est assez grande pour que, sans autre préparation, la plante y atteigne son parfait développement. D’ailleurs, nulle part on n’emploie la charrue ; la pioche et la gratte suffisent à remuer une terre qu’on a soin de graisser. Dans les terrains les plus ardus, un noir ne creuse guère par jour plus de cent trous ; alors les frais trop considérables obligent le propriétaire à renoncer à la culture ; il trouve un bénéfice plus sûr à louer ses noirs aux habitations voisines. Les terres abandonnées se couvrent aussitôt d’une espèce de sensitive qui se referme sous les pas du promeneur et s’incline de manière à tapisser le roc. On repose aussi le sol fatigué en y semant l’herbe de Guinée, qui fournit aux bestiaux une nourriture abondante ; mais on ne peut se dissimuler que ces terres si fécondes ne soient déjà singulièrement appauvries. Après avoir donné jadis quatre-vingt-dix et cent pour un, le blé rend aujourd’hui trente et quarante, et cela tient en partie aux sécheresses produites par le déboisement des régions supérieures. Cependant il est une branche d’industrie qui pourrait prospérer dans l’île, comme le prouve un essai déjà tenté : c’est l’éducation des vers à soie. Un colon fixé à quelques lieues de Saint-Benoît, guidé par l’étude des principaux ouvrages sur la culture du mûrier et les travaux de magnanerie, et surtout par le traité spécial tiré des auteurs chinois (dont la traduction, due à M. Stanislas Julien, a été reproduite dans toutes les langues de l’Europe), a obtenu de la soie d’une qualité supérieure, si fine, qu’on n’a pu la filer à Paris. Parmi les diverses espèces de mûrier, le multicaule est celui qui paraît avoir le mieux réussi ; il donne une feuille large, tendre et nourrissante.

Toute cette côte montueuse rejette la route assez près de la mer ; on sent qu’on s’éloigne de la capitale ; on rencontre de moins en moins ces boutiques d’épicerie, pareilles au pulperias des pampas, où le noir s’enivre avec de mauvais rhum et de l’arack distillés dans les guildiveries trop nombreuses de la colonie. Le paysage devient plus accidenté ; la culture n’a pu changer l’aspect extraordinaire de ces collines tourmentées, que les volcans ont sillonnées de crevasses et de fissures. Une fois sur la rive droite de la rivière de l’Est, qu’on prendrait pour un des ruisseaux formés de neiges qui tombent du sommet des Andes dans les vallées de l’Aconcagua, on traverse des bois mal venus, dont la racine plonge dans la lave refroidie depuis des siècles. Au-delà de cette ancienne coulée s’élève le village de Sainte-Rose, vraie patrie du créole ; ce canton, le dernier de la partie du vent, a