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sable comme autant d’épitaphes, les marins viennent s’asseoir pour causer de la famille absente, du foyer qui les attend, oublieux du péril de la veille et sûrs du lendemain, car il a été donné à l’homme de ne pas graver dans son esprit, en caractères ineffaçables, le souvenir des calamités qui l’empêcheraient d’avoir confiance dans la vie. Grace à Dieu, ces ouragans sont rares ; c’est de loin en loin, deux ou trois fois par siècle, qu’on signale ces horribles tempêtes qui détruisent les plantations de girofliers et de caféiers : mais les coups de vent qui causent la perte des navires se renouvellent plus fréquemment. Croit-on, après cela, que les Anglais se soient montrés bien généreux en nous laissant l’île Bourbon ?

Nous avons dit que la colonie ne compte pas de ville importante ; on serait plus juste en reconnaissant qu’elle n’a pas de capitale, de cité qui, par sa position choisie, son étendue, la beauté de ses édifices, l’emporte d’une manière décisive sur toutes les autres. Les casernes, l’hôtel du gouverneur, deux petits forts, le collége, le jardin de botanique, font de Saint-Denis le chef-lieu de l’administration centrale ; mais, resserrée entre le grand ravin de sa rivière et une petite plaine de sables, bâtie à la pointe extrême de la partie du vent, sur un promontoire étroit, elle compte, parmi ses neuf cents maisons, bien des cases, et parmi ses douze mille habitans, bien des individus de sang mêlé. Aussi Saint-Paul, chef-lieu de la partie sous le vent, ayant pris dans ces derniers temps un accroissement rapide, a quelque prétention de détrôner sa rivale. On n’y compte pas moins de dix mille habitans, mais la rade de Saint-Paul offre, par de certaines brises, des dangers à l’appareillage ; les navires sont plus exposés à s’y heurter que sur celle de Saint-Denis, et c’est là un grand obstacle à la prospérité d’une ville maritime. Saint-Pierre se glorifie de sa petite rivière, capable de recevoir des barques d’un médiocre tonnage, de sa belle position au milieu de magnifiques sucreries. Les négocians et les planteurs de ce gros bourg veulent recevoir les navires directement d’Europe, privilége restreint assez sagement aux deux chefs-lieux de l’île, dans le but de développer sur le moins de points possible l’industrie, qui ne peut naître et prospérer dans des bourgades. Ces rivalités sont nuisibles en ce qu’elles divisent les volontés du conseil, et bonnes peut-être en ce qu’elles exaltent le patriotisme local ; vues à distance, elles paraissent mesquines, bien qu’elles soient grandioses encore en comparaison des petites susceptibilités d’amour-propre qui partagent en deux villes distinctes les quartiers nord et sud de Pondichéry. Il y a dans l’esprit humain en général et dans le caractère