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L’ÎLE DE BOURBON.

tard, de Flacourt, qui menait si vertement les Séclaves, en reprit possession et lui imposa le nom qu’elle porte aujourd’hui. Quinze années s’écoulèrent, durant lesquelles cette annexe de Madagascar ne fut guère fréquentée que par les flibustiers des mers des Indes. Ils venaient y chasser le dronte, gros et lourd oiseau dont la race a depuis long-temps disparu du pays, et les chèvres sauvages nées de celles qu’y avaient laissées les Portugais ; leurs cabanes s’élevaient aux embouchures des rivières, dans les lieux propres au renouvellement de la provision d’eau, premier besoin des navigateurs. Enfin, en 1665, la compagnie française des Indes orientales, à qui Louis XIV avait concédé Madagascar et ses dépendances, envoya à Bourbon une vingtaine d’ouvriers, et ce fut, sur cette terre irrégulièrement occupée, le commencement de la colonisation. Autour de ce noyau de travailleurs sédentaires vinrent se grouper des matelots toujours prêts à déserter le bord, quitte à regretter bientôt les ennuis de la navigation, des flibustiers dénationalisés par le fait d’une vie vagabonde. À cette population improvisée et manquant de femmes le gouvernement se chargea d’expédier un certain nombre d’orphelines ; c’était l’usage dans ces temps-là. Ces jeunes filles, qui n’avaient plus de famille en Europe, se trouvèrent appelées à fonder au-delà du Cap celles qu’on vit plus tard prospérer, s’enrichir, puis se disséminer sur la côte de Coromandel, aux Seychelles, dans les terres voisines. Une circonstance fâcheuse pour nos établissemens dans la mer des Indes vint accroître bientôt le nombre des colons : l’orgueil imprudent de Delahaye, qui commandait à Madagascar en 1670, ayant provoqué une guerre dont le résultat fut un massacre général de la population blanche, les Français qui eurent le bonheur d’échapper au désastre se réfugièrent à Bourbon ; la petite île, en recueillant les débris de la grande, acquit une importance d’autant plus sérieuse que pendant quatre-vingt-dix années on ne songea plus à bâtir de forteresses à Madagascar.

Depuis 1671, époque de la cession à la compagnie, jusqu’en 1764, date de la rétrocession au roi, la colonie de Bourbon, dont les habitans n’avaient à redouter ni les influences pernicieuses d’un climat dangereux, ni les attaques des sauvages, paraît avoir joui au plus haut degré de ce bien-être paisible, de ce genre de vie facile et heureux que le père Labat a si naïvement célébrés dans son voyage aux Antilles, et conservé la simplicité de mœurs qui s’est perpétuée si long-temps aux Seychelles, ce petit Eldorado de l’Océan indien. L’île obéissait alors à un gouverneur nommé par le roi sur la présentation des directeurs, et assisté des membres d’un conseil choisi parmi les