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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

leurs camarades à lire et à écrire pendant les courtes heures du repos en commun. Au surplus quand les condamnés ne se connaîtraient pas, et quand ils ne formeraient pas d’associations coupables dans la prison échapperaient-ils pour cela, leur détention expirant, aux tentations du dehors ? Écoutons le directeur du pénitencier de Philadelphie :

« Avec des êtres aussi dépravés, dit M. Wood dans son rapport de 1838, parmi lesquels se trouvent beaucoup de malfaiteurs émérites, et qui, à peine mis en liberté, accourent dans les cabarets si nombreux de la ville et du comté, il ne peut manquer d’arriver que quelqu’un d’entre eux encoure, une année ou l’autre, une nouvelle condamnation. » Le chapelain du pénitencier, qui a recueilli les confidences des détenus, explique dans le même sens les récidives auxquelles ils sont entraînés ; il pense que la plupart, après avoir mené pendant quelque temps une vie laborieuse et honnête, rencontrent d’anciens complices qui les ont bientôt ramenés à leurs habitudes d’ivrognerie et de vol. Il existe donc dans toute société des repaires du vice qui attirent les néophytes, et qui servent de rendez-vous aux bandits de profession. Et c’est peu de prévenir les associations dans la prison, s’il reste en permanence dans nos cités des associations bien autrement redoutables, espèces d’écoles professionnelles qu’on ne supprimera qu’en donnant un autre cours à la population dont elles s’alimentent, c’est-à-dire en colonisant les libérés.

Mais quand la société ferait pour les condamnés, à l’expiration de leur peine, ce que néglige de faire le projet de loi ; quand les détenus, au sortir des maisons pensylvaniennes, trouveraient un refuge dans des établissemens lointains ; en supposant l’institution complète, nous doutons encore que l’emprisonnement solitaire laissât dans le cœur des coupables ces germes de réforme qui sont les garanties de l’avenir. La commission, elle, n’en doute pas. « L’emprisonnement individuel, dit M. de Tocqueville dans son rapport, est de tous les systèmes, celui qui rend le plus probable la réforme morale des criminels, et qui exerce sur leur ame l’influence la plus énergique et la plus salutaire. » Examinons cette opinion.

Il y a deux écoles en morale : la doctrine ascétique, qui veut que l’homme trouve en lui seul la règle du bien et la force de l’accomplir, et la doctrine religieuse, qui montre la société dépositaire des traditions, et qui fait de l’action exercée par les hommes les uns sur les autres le grand levier de l’amendement ainsi que du progrès. L’école ascétique, après avoir inventé les épreuves pythagoriciennes, les er-