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banlieue de Londres, une prison modèle dans laquelle on observe strictement la règle de Philadelphie. Aux termes de l’acte qui en autorise la création, les détenus ne doivent pas y rester enfermés plus de dix-huit mois ; c’est une espèce d’appendice et de préparation au servage auquel les déportés sont soumis dans l’Australie. En réduisant la durée de cette épreuve à dix-huit mois, le gouvernement a voulu donner satisfaction à l’opinion publique, et tenir compte des faits. Eh bien ! ce terme se trouve encore trop long pour les détenus. Il n’y a pas un an que Pentonville est habité, et déjà il a fallu transférer à Woolwich, dans le ponton qui sert d’hôpital, environ quarante condamnés, réduits par le régime solitaire à un tel état de maigreur et de faiblesse, que bien peu de ces malheureux paraissent devoir recouvrer la santé. Le 24 janvier[1], une enquête ouverte à Woolwich, après le décès d’un condamné, a constaté qu’il était mort des effets de l’emprisonnement pensylvanien, malgré les soins qu’on lui avait prodigués après sa sortie de Pentonville pour le ramener à la vie. Cet homme, quoique dans la fleur de l’âge, présentait l’aspect d’un véritable squelette, et son corps n’était plus qu’une masse entièrement desséchée. Outre ceux qui sont morts ou qui sont à la veille de mourir, on a transféré à l’hospice de Betlehem trois condamnés qui étaient devenus fous, l’un dès le mois de juin, l’autre dans le mois d’août, et le troisième avant la fin de décembre 1843. Il semble, d’après cela, que l’influence délétère que ce système exerce sur les facultés mentales soit aussi prompte qu’elle est terrible. À Pentonville, les deux premiers cas de folie se sont déclarés en moins de six mois. À Philadelphie, et suivant le rapport des médecins, sur 18 détenus atteints de démence en 1838, 10 avaient perdu la raison après un séjour moyen de cinq mois, et 8 après avoir passé deux années dans la prison. À Lausanne, sur 24 aliénés du pénitencier, 13 ont montré presque immédiatement des symptômes de démence, 9 sont devenus fous au bout de quelques mois, et 2 après deux années d’emprisonnement.

Nous avons parlé de Lausanne ; l’expérience qui a été faite dans ce pénitencier, bien qu’elle n’affecte pas des dimensions colossales, nous paraît plus concluante à beaucoup d’égards que celle de Philadelphie. La prison de Lausanne, qui est presque une prison française, tant les populations limitrophes ont de rapport entre elles, a passé, depuis le commencement du siècle, par trois régimes différens. De 1803 à 1826,

  1. Voir le Times du 28 janvier.