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taire a porté de tels fruits. En 1840, le pénitencier de New-Jersey, où prévaut la même règle, a compté 12 cas de démence sur 150 détenus. Dans l’état de Rhode Island, les accidens se sont tellement multipliés sous l’empire du régime pensylvanien, qu’on a fini par l’abandonner. En 1839, à une époque où l’état sanitaire des prisons américaines se trouvait dégagé de toute influence épidémique, le médecin du pénitencier de New-Jersey, le docteur Coleman, décrivait dans les termes qui suivent l’action du régime sur l’intelligence, ainsi que sur la santé des prisonniers :

« Parmi les condamnés, il y en avait plusieurs qui venaient de l’ancienne prison. Tant qu’ils vécurent dans cette maison, ils jouissaient d’une santé robuste, et, durant les deux premières années qu’ils passèrent dans le pénitencier, ils se plaignaient médiocrement. Maintenant ils sont devenus faibles, languissans, et portent tous les symptômes d’un véritable déclin de leurs forces physiques… Dans le nombre des prisonniers, on compte plusieurs cas de démence. Quelques-uns, au moment de leur admission, paraissaient avoir l’esprit dérangé, et leur état ne s’est pas amélioré depuis… On voit aussi des prisonniers qui montrent une simplicité enfantine ; ce qui prouve qu’ils ont l’esprit moins pénétrant qu’à leur entrée dans la prison. Ces symptômes, ou une partie de ces symptômes, s’observent parmi tous ceux qui ont passé dans le pénitencier plus d’une année. »

C’est à un partisan du système pensylvanien qu’échappent ces aveux remarquables. Il voit les effets de ce régime tels qu’ils sont, et néanmoins il persiste : « Continuez, dit-il, la réclusion solitaire encore plus long-temps, ne donnez pas aux détenus d’autres moyens d’exercer leurs facultés mentales que ceux qu’offre cette sorte d’emprisonnement et bientôt le bandit le plus déterminé aura perdu l’énergie et l’habileté (his capacity for depredating) qui le rendaient redoutable à la société. » À la bonne heure, voilà de la franchise ! Le docteur Coleman ne veut pas faire de la philanthropie avec l’emprisonnement solitaire ; il préfère ce système à cause des incapacités physiques et mentales qui en sont la conséquence. Ne croyant pas sans doute à l’amendement des détenus et voulant les mettre dans l’impossibilité de nuire, il consent à les mutiler moralement pour le reste de leur vie. Cela rappelle la pratique des peuplades barbares qui coupent un pied à leurs prisonniers pour les empêcher de fuir.

Au reste, l’emprisonnement solitaire a perdu du terrain en Amérique depuis qu’il a été possible d’en constater les effets. On lit dans le dix-huitième rapport de la société de Boston :