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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

sur la raison des détenus. Il n’y a donc rien de sérieux dans les distinctions que l’on s’efforce d’établir ; le système qu’il est question d’importer en France est bien littéralement celui dont la Pensylvanie fait l’expérience depuis quatorze ans. Quels résultats a-t-il produits dans cette période ? A-t-il justifié l’attente de ceux qui l’avaient institué, et les fruits qu’il a portés sont-ils de nature à autoriser l’enthousiasme affiché hautement par ses imitateurs ? Voilà ce qu’il est à propos d’examiner.

La commission ne s’est pas dissimulé que les faits qu’elle avait à produire servaient assez mal la cause du système qu’elle avait embrassé, et, bien qu’elle ait exposé ces faits d’une manière incomplète, inexacte et partiale, elle a senti la nécessité de prémunir encore le public contre les inductions qu’il pourrait être tenté d’en tirer. « Il est bien certain, dit M. de Tocqueville dans son rapport, que l’emprisonnement est un état contre nature, qui, en se prolongeant, ne peut guère manquer d’apporter un certain trouble dans les fonctions de l’esprit et du corps. Cela est inhérent à la peine et en fait partie. L’objet des prisons n’est pas de rétablir la santé des criminels ou de prolonger leur vie, mais de les punir et d’arrêter leurs imitateurs. Il ne faut donc pas s’exagérer les obligations de la société sur ce point, et si dans les prisons les chances de longévité ne sont pas très inférieures à ce qu’elle eussent été dans la liberté, le but raisonnable est atteint. L’humanité est satisfaite. »

Sans doute l’objet de l’emprisonnement n’est pas de rétablir la santé des criminels, de leur fournir des maisons de campagne, comme on dirait dans la langue des prisons ; mais il faut éviter un autre excès, qui aurait des conséquences tout aussi fâcheuses : en se tenant en garde contre l’écueil d’une fausse philanthropie, il ne faut pas tomber dans une cruauté inutile et sans motif. L’emprisonnement est un état contre nature par les restrictions qu’il apporte à l’exercice de la liberté ; cependant, s’il vient à jeter le trouble dans les fonctions de l’esprit ou du corps, tenez pour certain qu’il n’est pas bien réglé, et que l’on a excédé, dans l’application de la peine, l’intention réelle du législateur. Quoi de plus indigne de la loi que le défaut de franchise ? Et n’aurait-on pas le droit de l’accuser d’hypocrisie, si les peines contenaient des tortures cachées, si, au lieu de jeter les coupables dans une prison, on les plongeait dans un tombeau ?

Il ne doit y avoir dans la peine que ce que le législateur a expressément déclaré. Toutes ces misères, que le rapport de la commission représente comme inhérentes au châtiment et comme en faisant partie,