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voyance ou un excès de confiance ; nous ne prononcerons pas. Quelle que soit la cause, du reste, l’effet certain sera une loi dont les maladies qui travaillent la société recevront, dans tous les cas, peu de soulagement.

Nous aurions voulu élargir la discussion, mais il faut bien la restreindre pour suivre les auteurs du projet sur le terrain où ils se sont placés. Laissons donc là les problèmes de l’éducation et de l’ordre public, les salles d’asile, les écoles, les ateliers, les colonies de libérés, pour nous borner à l’examen des changemens que l’on propose dans le régime des prisons.

Les institutions pénales d’un peuple doivent être, comme toutes les lois, l’expression de son état social. Non-seulement les peines s’adoucissent à mesure que la rudesse primitive des mœurs disparaît, mais deux peuples parvenus au même degré de civilisation n’ont pas toujours le même code, et la législation de chacun d’eux porte distinctement gravée l’empreinte du caractère national. Sans doute les principes généraux qui dominent l’ordre social se retrouvent avec le progrès des temps sous toutes les latitudes, et nous ne dirons pas, avec Pascal dans ses heures de doute, que ce qui est vérité en-deçà du Rhin soit erreur au-delà. La vérité ne se manifeste pas à l’homme dans son idéal ni avec la rigidité nue d’une abstraction. L’unité du principe n’éclate jamais pour nous que sous la diversité des formes. C’est la condition que lui imposent la liberté humaine et l’individualité des races. Les nations diffèrent nécessairement par leurs lois, comme elles diffèrent par leur langue, par leurs qualités propres, par les lieux où elles vivent et par les circonstances de leur formation. La vieille Europe ne saurait se contenter des lois qui régissent, à la satisfaction commune, un peuple neuf comme celui des États-Unis. L’institution du jury a dû se modifier profondément en se communiquant de l’Angleterre à la France, et l’Allemagne, où les considérations scientifiques prévalent sur la raison d’état, repousse d’une manière absolue cette innovation peu compatible avec ses instincts naturels.

Il y a des époques dans l’histoire où les nations éprouvent le besoin de se rapprocher et de communier ensemble dans quelque grande entreprise. Ce que le catholicisme avait fait pour l’unité européenne au moyen-âge, la révolution française l’a fait au commencement du XIXe siècle, en propageant tantôt par l’exemple et tantôt par l’épée les idées de liberté et d’égalité que la philosophie du siècle précédent avait inaugurées. De là, l’universalité de notre langue et l’adoption presque générale de nos codes ; voilà pourquoi les opinions de la