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zèle couronné souvent par le succès. Le monde savant a pu, en présence des travaux de M. Eugène Boré sur l’Asie, de M. d’Abbadie sur l’Afrique, unir ses sympathies à celles des lecteurs religieux. Rien de commun entre ces consciencieux explorateurs et les touristes du néo-catholicisme. À des missions périlleuses, entreprises dans un but scientifique, les néo-chrétiens substituent des pèlerinages en Italie ou en Suisse. Quelques-uns, et c’est le petit nombre, poussent jusqu’à Jérusalem ; mais la vue des lieux saints, loin de leur inspirer le calme et le recueillement, ne fait qu’aiguillonner leur inquiétude. Le néo-christianisme, qui forme des touristes au lieu de voyageurs et de missionnaires, crée des chercheurs d’aventures au lieu de pèlerins. On se borne le plus souvent d’ailleurs à parcourir les pays voisins de la France, on veut savoir si la réaction religieuse a passé la frontière, et presque toujours on rapporte de ses courses une conclusion en faveur de l’utopie néo-catholique. Ceux qui admettraient sans contrôle de tels renseignemens prendraient une singulière opinion de l’Europe. Partout des conversions, partout l’agonie du protestantisme : tel est le thème invariable. La rêverie vient ici remplacer l’observation et en parlant de voyageurs nous avons encore affaire aux romanciers. Nous cherchions une relation sérieuse, et nous tombons sur des impressions de voyages.

Cette branche nouvelle de la littérature néo-catholique a son expression la plus complète dans les ouvrages de deux écrivains déjà souvent nommés ci, MM. de Genoude et Veuillot. Ce n’est pas une des moindres bizarreries du mouvement ultra-religieux d’entraîner les plumes qu’il inspire à s’essayer dans les voies les plus diverses. Nous comprenons que ces fougueux chevaliers tiennent à s’armer de toutes pièces pour la croisade, à combattre tour à tour avec le glaive et le poignard, avec la lance et la massue. Toutefois cette ardeur guerrière a quelque inconvénient, et à rencontrer si souvent les mêmes hommes sous une nouvelle armure on finit par s’apercevoir que la phalange si active est en réalité peu nombreuse. Nous ne trouvons d’ailleurs ni dans les Lettres sur l’Angleterre, de M. de Genoude, ni dans les Pèlerinages de Suisse, de M. Veuillot, des argumens bien redoutables en faveur de la réaction ultra-religieuse. Une exagération trop peu déguisée infirme sans cesse les assertions des deux voyageurs. M. de Genoude ne voit en Angleterre qu’une seule chose, c’est le triomphe du catholicisme et non pas du catholicisme véritable, mais du catholicisme tel que le comprend la Gazette, ce qui est bien différent. La restauration religieuse que M. de Genoude souhaite à l’Europe a tous les caractères d’une restauration politique. L’auteur rappelle en maint endroit du livre que c’est le catholicisme qui a soulevé la Belgique, l’Espagne, la Pologne, et dans ces rêveries belliqueuses on ne reconnaît guère l’esprit de l’Évangile. En passant des Lettres sur l’Angleterre aux Pèlerinages de Suisse, on voit l’excentricité religieuse succéder à l’excentricité politique. M. Veuillot s’est trouvé en Suisse dans un état d’irritation qu’entretenait constamment le contraste des cantons protestans et des cantons catholiques. Il a moins visité le système que les couvens, et nous