Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/350

Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’il admire surtout dans les couvens, c’est l’assoupissement des facultés intellectuelles au profit de la dévotion. Il y a là de quoi effrayer les partisans les plus déclarés de l’éducation religieuse. M. Veuillot a cru faire un pladoyer, il n’a écrit qu’une satire.

Nous pensions que, dans Pierre Saintive, l’excentricité catholique avait atteint ses dernières limites. Une production plus récente de M. Veuillot, l’Honnête Femme, nous a détrompés sur ce point. Ce roman, publié dans un recueil périodique, est resté inachevé. Est-ce aux exigences des lecteurs, est-ce aux conseils de son propre goût que M. Veuillot a cédé en arrêtant sa plume ? Nous ne savons, mais nous aimons à croire que le romancier a reculé lui-même devant les difficultés du sujet. Pour un écrivain dévot, l’adultère et la corruption politique sont des thèmes peu édifians. Un mari débonnaire et trompé, une femme égoïste et coquette, un galant hussard, un homme politique qui mène de front l’intrigue et la prière, un journaliste remuant et haineux, voilà les personnages évoqués devant nous par le romancier. On devine à quelles scènes tristement bouffonnes se prêtait le développement de ces caractères. Postérieure de trois ans à Pierre Saintive, l’Honnête Femme indique une notable altération dans la manière de l’écrivain. L’exagération signalée dans le premier de ces romans semble cette fois avoir atteint son apogée : une violence de plume aussi peu contenue rend toute critique inutile, et M. Veuillot se condamne ici par ses propres écarts.

Il n’est guère qu’une conclusion à tirer de ces étranges écrits : c’est que la colère, qui peut inspirer de bons pamphlets, dictera toujours de mauvais romans. L’invective est d’ailleurs une arme qui s’émousse vite ; on s’isole par des attaques stériles, on ne se fortifie point. C’est une vérité que les néo-catholiques ont paru sentir quand ils ont accueilli avec faveur des écrivains formés et une école qui n’a jamais été celle de l’intolérance ; mais ces avances faites à des plumes habiles, à M. Ourliac par exemple, indiquent-elles une sérieuse pensée de renouvellement ? Nous craignons qu’on ne se borne à chercher d’autres interprètes pour des tendances qui en réalité restent les mêmes ; ce n’est pas le fond, c’est la forme qui change, et dans l’empressement avec lequel les exaltés du catholicisme ouvrent leurs rangs, il y a un signe de disette littéraire plutôt qu’un symptôme de guérison. En attendant, M. Ourliac, qu’on a revêtu complaisamment du manteau de romancier prédicateur, doit se trouver assez mal à l’aise sous ce vêtement incommode. Rien ne contraste plus avec ce rôle solennel que la vocation du jeune écrivain. Les Contes du Bocage, qui ont valu à M. Ourliac les suffrages compromettans des néo-catholiques avaient été précédés de deux volumes où l’influence d’une littérature fort peu dévote, celle du XVIIIe siècle, se faisait vivement sentir. La Confession de Nazarille et Suzanne révélaient un aimable et spirituel conteur. Préoccupé tantôt d’Hamilton, tantôt de Lesage, nourri de Scarron et familier avec Voltaire, M. Ourliac ne laissait regretter qu’une chose, c’est qu’il ne se montrât pas plus souvent lui-même. On devinait toutefois, sous un voile de piquantes réminiscences, une originalité