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muse de M. Morvonnais ne se tient pas toujours dans le domaine d’humbles et rustiques peintures où sa vocation semble l’appeler. La tendance rêveuse l’emporte trop souvent sur la tendance pittoresque, et presque toujours aux dépens du poète, dont la forme rude et négligée convient peu aux effusions mystiques. Les sujets religieux proprement dits n’ont guère dicté à M. Morvonnais que des pages où manquent à la fois la chaleur et la précision. On aimerait à le voir s’inspirer plus souvent de la nature bretonne, qu’il sait peindre et sentir avec originalité ; pour décrire les landes fleuries, les grèves désolées de l’Armorique, l’auteur de la Thébaïde trouve souvent d’heureux contours et de fraîches couleurs. Qu’il s’attache surtout à mieux finir ses paysages : quelques fleurs gracieuses poussent dans ses sillons ; mais s’il n’y prend garde, elles périront sous les mauvaises herbes.

À côté de MM. Morvonnais et Turquety, il faut nommer MM. du Breil de Marzan et Amédée Duquesnel. C’est encore à la Bretagne qu’appartiennent ces deux écrivains. Dans un volume intitulé la Famille et l’autel, M. du Breil de Marzan semble avoir voulu peindre les diverses solennités de la vie chrétienne et de la vie de famille avec un fond de paysage breton. Il a rencontré quelquefois des pages aimables ; souvent aussi, cédant à une dangereuse facilité de plume, il est tombé dans la diffusion et la monotonie. — M. Duquesnel est un critique, ses travaux ne peuvent être séparés du groupe de poésies auxquelles les rattache une étroite communauté de tendances. Il a publié une Histoire des lettres avant et après le christianisme qu’il a menée résolument jusqu’à nos jours. L’entreprise est des plus vastes, et une ambition moins naïve que celle de M. Duquesnel aurait mérité un blâme sévère : ici la candeur demande grace pour la témérité. C’est du fond de sa province que M. Duquesnel a jugé notre situation littéraire, et on s’en aperçoit aisément. Un grand pêle-mêle de noms propres et de citations, beaucoup de jugemens hasardés, beaucoup d’omissions graves, voilà ce qu’on trouve dans son livre, qui se distingue d’ailleurs par l’honnêteté des intentions.

Nous n’en avons pas fini avec la Bretagne. Que de poètes, et de grands poètes, ne pourrions-nous pas y rencontrer encore ? Dans la cité comme dans le hameau, sur la grève ou dans la bruyère, que de génies naissans, que de jeunes muses s’offriraient à nos regards surpris ! Il ne faudrait que voir la Bretagne par les yeux des critiques néo-chrétiens, mais peut-on se fier à de tels explorateurs ? Nommerons-nous M. de Léon, jeune écrivain enlevé depuis plusieurs mois à ses travaux par une mort précoce, à l’époque même où, par une triste méprise, le feuilleton religieux lui prédit un bel avenir ? Sa Tragédie du monde, début estimable d’ailleurs, offre trop de lieux communs et d’inexpérience à côté de quelques page piquantes. Accepterons-nous comme de puissantes inspirations les pâles essais de M. Hippolyte Violeau ? L’indulgence aurait encore ici trop d’inconvéniens. Les mêmes critiques qui exaltent le talent de M. Violeau nous apprennent qu’il est l’unique soutien d’une famille indigente, et qu’il soupire ses pieux cantiques au milieu des fatigues d’un travail quotidien. Il faut craindre de