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à cette immense hécatombe, et les instituteurs primaires, les clercs laïcs des villages ont été sacrifiés sans pitié. Cette fois, c’est vraiment le massacre des innocens. Les infortunés ! eux qui chantent d’une si belle voix et d’un si bon cœur au lutrin de leur église, et qui sonnent si régulièrement l’Angelus, on les accuse de scepticisme ! — Demandez-leur ce que c’est que le scepticisme ? — On les accuse de lire Voltaire ! — demandez-leur ce que c’est que Voltaire ? — et de gagner dans la compagnie de M. le maire la contagion des doctrines subversives. La guerre se propage ainsi jusque dans les plus humbles campagnes. Il arrive souvent que le curé, qui a cependant le droit de surveillance sur l’enseignement primaire, en vertu de la loi de 1833, s’abstient de surveiller, sans doute pour se ménager l’occasion de crier à l’impiété. Quelquefois même il oppose à l’école municipale, dirigée par l’élu du conseil, l’école privée, dirigée par l’élu de son cœur, et pour faire triompher l’instituteur de son choix, il use au besoin d’une arme puissante, le refus de la première communion ; alors la commune s’agite : il y a émeute au village, car les questions d’instituteurs résument un grand côté de la politique rurale. À l’évêché, on prend parti pour le desservant ; le préfet ajourne ou reste neutre ; le comité d’arrondissement en appelle au conseil royal, qui prend des demi-mesures, et l’éternelle lutte du spirituel et du temporel, résumée cette fois par un curé et par un maire, aboutit toujours au scandale.

Ici, comme en toute circonstance, le parti ultra-catholique prétend à l’infaillibilité et s’attribue une supériorité éminente. Le clergé, auquel on immole l’Université, occupe dans l’instruction une place de jour en jour plus grande. A-t-il vaincu l’Université dans la science de l’enseignement ? là est toute la question.

Un fait significatif et concluant servira de réponse. Parmi les établissemens d’éducation dirigés par des ecclésiastiques, les uns, comme le collége de Juilly, de Pontlevoy, la pension de M. l’abbé Poiloup, sont soumis au droit commun ; ces établissemens, dits de plein exercice, admettent des professeurs laïcs, reçoivent les visites des inspecteurs, adoptent les livres universitaires, et délivrent des certificats d’études valables pour l’obtention des grades. Les autres, les petits séminaires, qui devraient, aux termes de la loi, ne recevoir que les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce, sont complètement murés à la direction universitaire ; et toute la supériorité, une supériorité incontestable, est du côté des établissemens de plein exercice. C’est là un fait reconnu par tous les hommes sincères du clergé lui-même, et confirmé par MM. Allignol[1], qui demandent, comme un grand bienfait pour l’église, que l’enseignement des écoles secondaires ecclésiastiques soit élevé au niveau de l’enseignement des colléges. Quel est en effet l’esprit qui préside à la direction des petits séminaires ? La dévotion la plus étroite, l’ignorance la plus complète des besoins et des idées du temps. On s’y met à genoux vingt fois par jour, on égrène le rosaire, et l’on en est tout imprégné de pessimisme contre

  1. De l’état du Clergé, par MM. Allignol frères, prêtres desservans, p. 339.