Voilà ce que dit un membre du comité de salut public, celui devant qui Chénier avait été contraint de brûler son Timoléon, celui qui l’accuse d’avoir été violemment partial, d’avoir demandé sa mort avec une éloquence tragique : c’est un ennemi à qui le cri de la vérité échappe. N’est-ce pas en parlant de Voltaire et de Rousseau que Marie-Joseph a dit :
Un moment divisés par l’humaine faiblesse,
Vous recevez tous deux l’encens qui vous est dû.
Réunis désormais, vous avez entendu
Sur les rives du fleuve où la haine s’oublie
La voix du genre humain qui vous réconcilie.
Qui oserait tenter désormais de séparer cette gloire jumelle des deux Chénier ? Le jeune et cher laurier d’André, que son frère voulait faire grandir sous ses pleurs, enlacera désormais ses rameaux au laurier un instant solitaire de Marie-Joseph.
En parlant du chantre de la Jeune Captive, l’auteur du Discours sur la Calomnie avait rencontré cette mâle éloquence, ces tours vigoureux, ces touches sobres qu’on admira plus tard en certains endroits de Tibère. Chénier venait de trouver sa veine. On assure que les courtisans d’Alexandre, pour flatter une infirmité du conquérant, tenaient la tête penchée sur l’épaule : jusque-là Marie-Joseph, dans son culte pour Voltaire, avait fait ainsi sans s’en douter ; il ne prenait guère aux tragédies de son maître que le clinquant et la fausse solennité. Aujourd’hui il levait la tête, et devenait chef d’emploi à son tour, comme on dit au théâtre ; il cessait de jouer les doublures.
Les nombreux ennemis contre moi conjurés
Affermissent mes pas déjà plus assurés.
Chénier disait vrai : ses ennemis venaient de lui couper ses lisières.
La leçon du malheur fut profitable au poète ; elle trempa son talent peu solide, de même que la maladie bientôt assouplira son caractère