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tinée à largement empiéter dans un avenir prochain sur la navigation exclusive à la voile ; on devra donc adapter le canal aux grands navires à vapeur de l’ordre des paquebots transatlantiques, autant qu’on a déjà des idées arrêtées sur les proportions de ces bâtimens.

Telles sont les bases du programme du percement de l’isthme. À toute œuvre conçue différemment, l’Europe n’aurait rien à voir, aucun secours à apporter.

Entendons-nous bien cependant. Nous maintenons que toute communication autre qu’un canal praticable au moins aux grands navires du commerce n’apporterait directement aucune amélioration, aucune extension aux rapports de l’Europe avec les régions éloignées que baigne le Grand-Océan, et ne serait pas digne de la sollicitude de la France ou de l’Angleterre, mais des ouvrages plus modestes exerceraient des effets salutaires sur la contrée qu’ils traverseraient. Dans nos régions européennes bien percées dans tous les sens, nous ne nous faisons pas une idée de ce que c’est qu’un pays dépourvu de moyens de transport, nous n’avons pas la mesure des embarras que la civilisation y rencontre. Ce sont choses qu’on n’apprécie qu’après les avoir vues. Une zone de vingt lieues de large sans chemins oppose à l’avancement de l’esprit comme aux innovations matérielles une barrière plus insurmontable que l’inflexible volonté du tyran le plus habile et le mieux servi. Une bonne route, longue de vingt-cinq lieues dans l’isthme de Tehuantepec, entre le port de Tehuantepec et le Guasacoalco, là où il est constamment navigable, opérerait une révolution ailleurs que dans l’isthme. Tout l’empire mexicain en éprouverait l’heureuse influence ; non-seulement on verrait les terres fertiles et salubres de l’intérieur de l’isthme renaître à la culture et la plaine de Tehuantepec se couvrir une seconde fois des riches récoltes qui l’embellissaient avant la conquête et avant les boucaniers, mais toutes les relations seraient transformées entre le littoral oriental et celui de l’occident. Le courant européen s’épancherait alors sur l’ouest du Mexique, qu’aujourd’hui il ne peut atteindre. Un service passable de navigation fluviale par le lac de Nicaragua entre les deux océans aviverait de même les rives du lac, et imprimerait un nouvel essor à l’homme sur les rivages occidentaux de l’Amérique centrale, parce que l’infatigable Europe aurait enfin prise sur eux. De même de toute ouverture pratiquée d’une mer à l’autre, le fût-elle sur d’humbles proportions. Un pareil ensemble de communications locales et spéciales aurait, il faut le reconnaître, des effets généraux dont l’Europe se ressentirait sans doute indi-