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ces grands patriotes, continua sa tâche périlleuse. L’amour qu’il sentait dans son cœur pour la liberté était réfléchi, profond, mais il n’étouffait point les sentimens d’humanité et de droiture. Le dégoût du crime l’avait ébranlé, la compassion pour le malheur ne lui laissa plus d’hésitation : la cause du roi était perdue, il la soutint. On l’a dit éloquemment, c’était se faire le transfuge du plus fort, c’était déserter vers le vaincu. Adresses, articles, placards, correspondance, démarches, rien ne fatigua son courage ; il offrit à Malesherbes de l’aider et ce fut lui qui rédigea le manifeste touchant que signa Louis XVI, l’Appel au Peuple. C’est ainsi que l’indomptable écrivain qui avait osé demander naguère qu’on élevât « des autels de la peur » refusa de sacrifier aux pieds de la terrible idole. Il faut le dire haut, André, dans les derniers et orageux mois de 93, ne fut exclusivement protégé que par le nom et le crédit de son frère. Les dangers que son audacieuse opposition lui fit alors courir furent si réels, que le poète Wieland, le sachant rangé parmi les suspects, écrivait d’Allemagne tout exprès pour savoir s’il était encore en vie. Au milieu de tout cela, d’ailleurs, André n’avait pas l’ombre d’ambition personnelle. Les circonstances et ses impérieuses convictions l’avaient seules jeté dans la lutte. On le voit dans des lettres récemment publiées, il n’aspirait, même alors, qu’à se mettre de nouveau à l’écart, qu’à retrouver dans la solitude la douce familiarité de la muse. Pendant qu’André, en prenant ainsi parti pour Louis XVI, donnait des gages aux dénonciateurs et des griefs à l’inflexibilité vindicative de la montagne, Marie-Joseph, emporté par le torrent, n’essayait pas de résister. Il était dans la chaleur de l’âge et des passions ; aussi le trouve-t-on mêlé activement à toute la fermentation première, à tout le sombre enthousiasme de la terrible assemblée, et aussi à ses égaremens. C’est ce rôle de législateur révolutionnaire qui, lors de la réaction thermidorienne, faisait dire à Michaud, dans une cruelle diatribe contre Chénier, que le peuple avait

Pleuré plus de ses lois que de ses tragédies.

Voilà les représailles des partis : on ne tardera pas à voir si l’auteur de Fénelon les méritait.

Sur l’insistance de ses amis, André consentit à quitter Paris, à chercher un lieu de sûreté. Marie-Joseph, on l’a vu, était député de Versailles ; il y procura un asile à son frère. André demeura près d’un an caché dans cette retraite, où une grave et longue maladie le retint. On peut voir dans sa belle ode de Versailles quels sentimens l’animaient alors, comment les vertes allées où, dans ses ennuis, il évo-