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en appendice, sous le titre de Cabinet de lecture, des miscellanées moins sérieux. C’est dans le supplément qu’un ami politique d’André eut la funeste imprudence d’insérer quelques lignes ironiques à propos de la dénégation publiée par Marie-Joseph. « Quel rapport, disait perfidement le publiciste anonyme, y a-t-il entre l’éloquence nerveuse des Réflexions d’André et la triviale verbosité des préfaces de Joseph-Marie ?… Pourquoi M. Joseph-Marie ne se fait-il pas honneur aussi d’être le frère de M. André de Chénier, dont le caractère, les principes et les talens ne peuvent qu’honorer ceux qui portent son nom ? » C’était mettre l’amour-propre en jeu. Le lendemain, Marie-Joseph furieux répondait dans le Patriote français de Brissot : « Je vous remercie sincèrement de m’avoir épargné l’opprobre de votre estime, et je suis fâché qu’un homme de mérite comme mon frère soit insulté par vos éloges. » La vanité blessée commençait à se faire complice de l’hostilité politique. L’auteur de Charles IX, que son effervescence révolutionnaire et l’éclat subit de sa réputation au théâtre avaient fort accrédité, jouait un certain rôle dans cette société commençante des jacobins où siégeaient alors Sieyès, Barnave, Condorcet, Vergniaud ; aussi n’eut-on pas grand’peine à lui faire croire que la défense officielle du club lui revenait de droit, et était pour lui un devoir. Une apologie des jacobins parut donc au Moniteur, dans laquelle les attaques d’André étaient repoussées avec vivacité à la fois et avec convenance ; ainsi les expressions de liens du sang et de l’amitié, de citoyen digne d’estime, revenaient souvent et sauvaient les apparences. Toutefois, une phrase irritante s’était malheureusement glissée dans la lettre : on ne s’aperçut que trop par la réplique d’André que le mot d’amplification de rhétorique l’avait froissé. Cette réplique pourtant était d’un langage digne et ferme ; mais, aux dernières lignes, la colère long-temps contenue éclatait par ce sarcasme, par cette allusion transparente : « Certes, un parti bruyant qui dispose du crédit, de la faveur, de la réputation et même de cette partie des succès littéraires dont la nature est d’avoir besoin des applaudissemens de la multitude, sera toujours beaucoup loué, même par plusieurs dont il ne sera jamais beaucoup aimé. » L’insinuation était cruelle : l’auteur de Charles IX fit aussi de vains efforts dans sa riposte pour paraître calme, pour éviter à son tour le fiel ; dans les dernières phrases il n’y tint plus, et son humeur l’emporta : « Si j’avais, dit-il, perdu deux ou trois années à composer des tragédies impartiales ou insignifiantes (André avait-il donc songé au théâtre ?) et même deux ou trois matinées à écrire pour un journal quelques pamphlets modérés, j’aurais trouvé un grand nombre