Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
REVUE DES DEUX MONDES.

révolutions. Il y a des visages sinistres qu’on ne rencontre qu’aux jours d’émeutes : il y a des sentimens qui ne naissent et qu’on ne retrouve que dans les instans de crise politique. De toute façon, Charles IX sera toujours lu avec curiosité, comme on lit une allocution du club des Jacobins, comme on lit un numéro du Moniteur de la convention.

Chénier ne perdait pas de temps : Charles IX avait été donné en novembre ; dès les premiers jours de janvier 1790, Henri VIII était en répétition. Mais une querelle, restée célèbre au théâtre, et dont il faut dire un mot, entrava la mise en scène. Chénier et Talma, qui était devenu son ami et son séide, s’étaient jetés ardemment dans les opinions les plus extrêmes de la révolution. Les comédiens ordinaires du roi, fidèles à leur titre, étaient au contraire du parti modéré ; de là une certaine hostilité que la vanité farouche de Chénier et ses airs d’autorité ne firent qu’envenimer davantage. La première occasion devait amener une rupture[1]. Talma, comme dernier reçu des sociétaires, fut chargé de prononcer, selon la coutume, le discours de rentrée après les vacances de Pâques. Chénier rédigea pour son ami un morceau incendiaire où les habitudes de l’esclavage étaient dénoncées. Le comité des acteurs en refusa la lecture, et le comédien Naudet fut chargé d’en faire un autre. Le jour venu, des affidés jetèrent à pleines mains dans la salle le discours préparé par Chénier, avec un avertissement odieux où il était dit : « Quelques personnes de la Comédie sont tourmentées de vapeurs aristocratiques ; mais aux grands maux les grands remèdes ! » Ce lâche procédé, ce style déjà digne de 93, brouillèrent la Comédie avec Chénier. Chénier, piqué et craignant que les chaleurs de l’été ne nuisissent au succès un peu décroissant de Charles IX, retira sa pièce. C’était un procédé peu délicat. Bientôt cependant les envoyés de la fédération, étant venus à Paris, voulurent à toute force voir Charles IX. Les comédiens irrités refusèrent ; c’était leur droit. Chénier intrigua. Danton, comme président des Cordeliers, écrivit aussitôt aux acteurs une lettre qui se terminait par ces mots : « On se flatte que cette réclamation produira l’effet que tous les patriotes ont droit d’en attendre. » C’était une menace. Mirabeau tint à peu près le même langage : « J’ose conseiller à la Comédie de ne pas compromettre l’opinion de son patriotisme[2]. » C’était une in-

  1. Sur certaines particularités de l’affaire de Talma et de Chénier, voir Étienne et Martainville, Histoire du Théâtre-Français depuis la Révolution, 1802, in-12, t. I, p. 150-170.
  2. Archives de la Comédie-Française, carton 181.