dit que, dans sa nouveauté, Charles IX attira plus de monde[1] encore que Figaro. Je n’ai pas de peine à le croire ; c’est la raillerie souvent qui prépare les révolutions, c’est la passion toujours qui les achève. Qu’importaient maintenant au poète les taquineries des journaux ? Si La Harpe, toujours maussade, voyait dans Charles IX « le comble de l’impuissance, » Chénier, en revanche, avait ses prôneurs, ses séides, qui rendaient avec usure les invectives à La Harpe ; si l’abbé Aubert se permettait de trouver des longueurs dans la pièce nouvelle, l’acolyte Palissot griffonnait vite une Critique de Charles IX et mettait notre abbé sur la scène sous le pseudonyme d’Hydrophobe. À son tour, Marie-Joseph avait ses représailles.
Charles IX, comme il était naturel, souleva l’indignation des royalistes[2]. Il y eut contre la pièce un feu roulant d’épigrammes dans tous les petits journaux que soudoyait la cour. « On ne m’ôtera pas de l’idée, écrivait un anonyme, que l’enfer s’est rendu chez M. de Chénier, que Pluton dictait, et qu’un diable tenait l’écritoire. » Les Actes des Apôtres, où pétillait à toutes les pages l’esprit de Rivarol, rangèrent aussi l’auteur parmi « les monstres qui perdaient le pays. » Chénier put se consoler avec la couronne civique que lui décernèrent les districts. Au surplus, son but était atteint : il agissait par la poésie sur les masses. Long-temps la foule vint demander l’émotion à ce drame où étaient peints un roi meurtrier et des prêtres sanguinaires : tous les contemporains le disent, l’exaltation produite par ce sombre spectacle et ces souvenirs terribles ne contribua pas peu à accélérer la crise politique. Ce n’était pas pour rien qu’au sortir de la première représentation, Danton s’était écrié : « Si Figaro a tué la noblesse, Charles IX tuera la royauté. » On avait aussi entendu dire à
- ↑ Le premier jour, la recette fut de 5,018 livres ; les trente-trois premières représentations produisirent 128,000 livres. (Archives de la Comédie-Française.)
- ↑ Mme de Genlis dit dans ses très suspects Mémoires : « Je fus fort curieuse de voir cette pièce. Je menai mes élèves à la première représentation. Comme ce n’était pas le jour de notre loge, j’en avais loué une qui était fort en vue ; à la scène exécrable des sermens, je me levai et j’emmenai mes élèves : on en parla beaucoup. Cela mit le comble à la haine envenimée que me portait M. Chénier. Les élèves vivent encore, et nous croyons être en mesure d’affirmer que c’est là une pure invention : Mme de Genlis fait de la pruderie politique très rétrospective. Quelques lignes plus haut, elle racontait une déclaration par trop pressante que lui aurait faite Chénier : au ton piqué dont cela est dit, on sent que Mme de Genlis garde rancune d’autre chose. Madame Honesta, comme le poète la nomme dans ses satires, en voulait surtout à Chénier de ce joli vers si connu :
C’est Philaminte encor, mais un peu janséniste.