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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

de sa mère avec plusieurs canevas de pièces et quelques tragédies ébauchées. Son plus ardent désir était de débuter sur la scène.

Marie-Joseph retrouva André à Paris : André n’avait pu subir son exil de régiment pendant plus de six mois ; dès-lors les deux frères, chacun dans sa voie, reprirent leur vie littéraire. Ils s’encourageaient l’un l’autre ; ils se confiaient leurs plans, leurs vœux, leurs essais. Quelques amis communs, les de Pange, Trudaine, le marquis de Brazais, étaient initiés à ces mutuelles confidences de la poésie. André, expansif, ne communiquait qu’avec réserve les vers non sans peine obtenus de sa voix ; en revanche, il applaudissait à ceux des autres, il aimait voir venir à lui

Et mon frère et Le Brun, les Muses elles-mêmes.

D’ailleurs son goût de la campagne et des voyages, sa fureur d’errer, sa santé mauvaise, plus tard ses fonctions à l’ambassade de Londres, l’éloignaient souvent de Paris ; il y revenait pourtant par intervalles, menant cette vie nonchalante et facile des Élégies, allant de Fanny à Camille, mais corrigeant quelquefois le plaisir par le sentiment. Il était sincère quand il disait :

Moi j’ai besoin d’aimer, qu’ai-je besoin de gloire ?

Plus d’une élégie, à cette date, n’est qu’un cri de son ame. Sa muse d’alors (il l’aima éperdument) était une éclatante et spirituelle personne dont la fille, également belle et distinguée, épousa depuis Regnault de saint-Jean-d’Angely. Mme de Bonneuil est la poésie riante des heures dissipées et du loisir, comme Mlle de Coigny sera la poésie mélancolique des heures suprêmes : c’est la différence de Camille à la Jeune Captive. Marie-Joseph ne se laissait pas ainsi prendre aux énervantes tendresses de l’amour. Enclin au plaisir, il ne sentait pas le besoin de le chanter ; on ne retrouve dans ses vers ni l’Éléonore de Parny ni même les Églés de Le Brun. La passion patriotique se déclare tout de suite en lui et se confond avec la passion littéraire. Aujourd’hui il veut le théâtre parce que c’est une tribune, demain il voudra la tribune parce que ce sera un théâtre. Mais s’il a le goût du faste et du bruit, il a aussi celui du bien et du beau : si le souvenir du couronnement d’Irène l’exalte et lui fait croire qu’il peut aspirer à la succession de Voltaire, son cœur n’en est pas moins ouvert à toutes les généreuses passions de la constituante. Aussi 89 le trouva-t-il armé pour la lutte et animé de tous les nobles enthousiasmes d’alors.

Palissot, qui à cette époque s’était rattaché, au moins par les per-