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L’ISTHME DE PANAMA.

naient les voyageurs se rendant du Pérou ou du Chili à la Nouvelle-Grenade, au Venezuela, ou aux autres possessions espagnoles du littoral de l’Atlantique. Les relations les moins irrégulières qu’il y eût entre les deux océans étaient du port d’Acapulco à la Vera Cruz par Mexico. Le trajet à vol d’oiseau est de 613 kilomètres, et, avec les détours, de 800 kilomètres au moins, et il faut plusieurs fois s’élever à des hauteurs infinies pour redescendre dans de profonds vallons[1]. C’est ainsi que l’Espagne entendait l’art des communications dans ses domaines du Nouveau-Monde, d’où avec un bon système de transports elle eût tiré des trésors inouïs, car ils étaient si vastes, qu’il s’en fallait d’un quart seulement qu’ils n’égalassent la demi-surface de la lune, et en fertilité et en richesse ils étaient plus remarquables encore qu’en étendue. Agir de la sorte pour les communications en général et pour les rapports entre les deux océans qui séparent l’Amérique en particulier, c’était méconnaître ses intérêts, froisser ceux de la civilisation et légitimer sa propre déchéance ; car si dans les affaires privées la propriété implique le droit d’abuser ou de ne pas user, il n’en est pas de même dans celles de la civilisation. Ici subsiste, de droit divin, une loi de confiscation contre les états qui ne savent pas tirer parti du talent que le maître leur a confié, ou qui s’en servent contrairement à quelques-uns[2] des penchans les plus invincibles de la civilisation, comme est celui du rapprochement des continens et des races. Ce droit extrême est écrit trop souvent en lettres de sang et de feu à toutes les pages de l’histoire pour qu’il soit possible de le révoquer en doute.

Nous arrivons ainsi aux temps modernes. Pour mieux apprécier ce qui a été fait ou projeté et ce qui est à faire, posons plus explicitement la question ; rendons-nous compte, autant que possible, avec détail, des facilités et des obstacles que l’isthme présente à qui recherche les moyens de le percer.

  1. Le passage de Rio Frio, entre la Vera-Cruz et Mexico, est 3,196 mètres au-dessus de la mer à la Vera-Cruz. Mexico est à 2,276 mètres. De là, pour aller à Cuercavaca, on franchit l’ancien camp de Cortez, situé à 2,996 mètres, pour redescendre à 516 mètres, et remonter encore à 1,380 mètres à Chilpanzingo.
  2. Je dis quelques-uns, car je ne suis pas de ceux qui accusent le gouvernement espagnol d’avoir été barbare et exterminateur dans l’administration de ses colonies. Dans l’ensemble, il s’y est montré humain, quoiqu’on lui ait fait une réputation contraire. Les colons ont eu de grands reproches à se faire ; mais l’esprit des ordonnances espagnoles envers les indigènes du Nouveau-Monde et les efforts généreux de l’administration coloniale ont été favorables à la cause de l’humanité et de la civilisation en ce qui concernait ces populations.