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LA CONTREFAÇON BELGE.

tions commerciales, la contrefaçon renaîtra sous une forme plus cachée et plus odieuse encore : c’est une chance qu’il faut prévoir et que l’on peut éviter.

Quelle est cette réforme industrielle et commerciale qu’appellerait l’état de la librairie française du moment que le débouché de l’étranger lui serait ouvert ? Elle ne peut plus, avons-nous dit, se présenter qu’avec des éditions bon marché dans les pays desservis actuellement par la contrefaçon. À coup sûr, la consommation extérieure ne suffira point pour lui permettre d’abaisser convenablement ses prix. On l’a vu par les chiffres que nous avons donnés, le tribut que l’étranger paie à la contrefaçon belge n’est ni assez considérable ni doué d’assez d’élasticité pour qu’en supposant qu’il vienne tout entier accroître le revenu de la librairie française, il la mette à même de changer radicalement ses habitudes commerciales. Tant que le droit qu’elle paie aux écrivains sera hors de toute proportion avec la valeur raisonnable de leurs livres, elle ne pourra réduire ses prix comme il le faudrait. Et n’est-il pas à craindre que, lui sachant un champ plus vaste de spéculation dont leur amour-propre grossira encore l’importance, le plus grand nombre ne la soumettent à des charges plus onéreuses encore ? C’est là un mal contre lequel la librairie se trouvera désarmée. Nous avons bien la ferme conviction que le métier littéraire est près d’avoir fait son temps, que la génération d’écrivains qui s’élève, ayant vu qu’il n’aboutit qu’au suicide rapide de l’intelligence et du génie, et redoutant de s’user aussi vite que l’autre, va reprendre avec leur dignité les traditions désintéressées des hommes de lettres d’autrefois : peut-être aussi, parmi ceux qui ne se sont pas tout-à-fait immolés encore, il en est à qui la crainte d’une recrudescence de la contrefaçon commandera d’être plus traitables dans leurs rapports avec l’éditeur ; mais cela ne suffira point pour relever la librairie. La réforme doit également partir d’elle-même ; il faut qu’elle ait le sentiment de sa position nouvelle, qu’elle déploie tout à coup une énergie qui lui manque et que, cessant de se renfermer dans son rôle d’industrie passive, elle devienne ce qu’est la librairie régulière en Allemagne, ce qu’est la contrefaçon en Belgique, un commerce osant tenter des entreprises, ne reculant pas devant des crédits à longs termes, sans cesse attentive à satisfaire, à provoquer même la consommation ; et, pour achever de tout dire, comme on ne peut dans aucune industrie produire beaucoup, vendre à bas prix et attendre sans des mises de fonds considérables, comme depuis long-temps elle est pauvre et besogneuse, il faut qu’elle fasse ainsi qu’a fait la contrefaçon, qu’elle appelle à elle le secours indispensable des capitaux.

Tant de modifications essentielles que la librairie devra apporter dans la conduite de ses intérêts, pour se trouver en mesure d’exploiter le marché étranger à la satisfaction de la France et de ses nouveaux consommateurs, prouvent assez que la réforme ne pourra être opérée en un jour. Sans l’appui du gouvernement, elle ne s’accomplira jamais, et le gouvernement montre