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LA CONTREFAÇON BELGE.

selle de la propriété de l’intelligence, la première mesure, encore une fois, qu’elle ait à prendre, celle dont il eût été plus habile même de faire précéder toute autre démarche, c’est l’abolition et le rachat de la contrefaçon étrangère établie sur son propre territoire. Son exemple entraîne toujours les autres peuples ; quand cette grande nation, qui dirige l’opinion du monde, aura prouvé par un acte aussi significatif qu’elle considère vraiment la contrefaçon comme un délit social et qu’on est sa complice en la tolérant chez soi ; lorsqu’un ministre constitutionnel, reprenant la pensée de Louis XIV, dont les faveurs allaient chercher les savans étrangers au fond de leurs retraites, pourra dire : La France, patrie naturelle de toutes les intelligences, s’estime heureuse de leur payer à toutes le salaire de leur noble labeur, quel peuple osera désormais en Europe donner ostensiblement asile à une industrie mise ainsi par elle au ban de la civilisation ? Dès-lors la France pourra négocier, non point comme nation industrielle marchandant un tarif à des peuples marchands, mais comme souveraine d’un empire moral conviant l’Europe à signer après elle la déclaration des droits de l’intelligence.

Appuyées par une preuve pareille de la sincérité de ses convictions, les démarches du gouvernement français prendraient un caractère de suite et d’ensemble qui permettrait d’espérer des succès rapides. Jusqu’à ce jour, il n’a manifesté que dans deux circonstances son désir formel d’atteindre la contrefaçon en Europe, et encore ne l’a-t-il fait qu’incidemment, à propos de toute autre chose, de tarifs et de navigation. La première tentative est partie du ministère du 1er  mars, si nous avons bonne mémoire. Le traité de commerce conclu avec la Hollande, pendant qu’il était au pouvoir, avait stipulé en faveur de la littérature et de la librairie françaises des avantages qui ne paraissent pas avoir eu toute la portée qu’il y attribuait, car je ne sache pas que les produits de la librairie belge aient cessé de pénétrer en Hollande. Nous voulons admettre que la convention conclue récemment avec la Sardaigne produira de meilleurs résultats, et qu’un marché où la contrefaçon plaçait pour environ 30,000 francs de marchandises demeurera acquis à la librairie française ; mais il est temps d’adopter une marche plus décisive et plus sûre. On procède, jusqu’à présent, à l’extinction de la contrefaçon en tournant autour d’elle et en élevant, par fragmens séparés, un cercle de prohibitions qu’on ne pourra fermer qu’à la longue ; ce mode nous semble trop lent et d’une efficacité trop douteuse pour mériter l’assentiment qu’une société de gens de lettres a publiquement donné à M. le ministre des affaires étrangères.

Dans l’état actuel de la question, chaque fois qu’il s’est agi d’essayer de supprimer la contrefaçon belge, on a fait cette objection : à quoi servira de la chasser de Belgique, si elle peut se transporter ailleurs ? Cette possibilité, en effet, elle la possède toujours, puisque, comme on l’a vu, c’est une industrie qui s’établit fort bien sans capitaux. Des conventions partielles, comme celles que nous venons de rappeler, par cela seul qu’elles ne sont pas