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quée surtout par la publication des Mystères de Paris, car le succès de ce roman, nous le disons à regret, n’a pas été moins prodigieux en Belgique qu’en France. L’appui du parti catholique est donc acquis d’avance à toute mesure qui tendrait à la suppression de la contrefaçon ; mais cet appui intéressé serait retiré dès qu’il s’agirait d’accorder à la librairie française les moyens de prendre la place de sa rivale sur le marché littéraire de la Belgique.

Ce que la contrefaçon a fait, quoique sans y avoir songé, chez le peuple belge, s’est répété à un moindre degré dans les pays où elle a ouvert des débouchés à son exportation. Le bien et le mal qu’elle y produit s’y balancent dans la même proportion. Elle étend à la vérité la réputation d’ouvrages qui la plupart du temps n’en sont pas dignes, aux dépens d’autres livres que l’instinct peu éprouvé de l’étranger ne sait pas assez distinguer ; mais enfin elle fait lire les écrivains français, et c’est beaucoup. Il faudra bien qu’à la longue ceux qui comprennent si mal encore notre littérature finissent par s’apercevoir qu’elle ne consiste pas tout entière dans les romans grivois de M. Paul de Kock ou dans les feuilletons si peu littéraires du journalisme parisien. Il est un des résultats de la contrefaçon qu’il ne faut pas surtout perdre de vue, c’est qu’elle se montre régulièrement dans des lieux où la librairie française n’avait point pénétré. Forbans ou non, les contrefacteurs belges ont agi à la façon des boucaniers, par qui ont commencé les colonies les plus florissantes. Leur audace a tenté des voies nouvelles ; quoi qu’il arrive de leur industrie, la librairie française ne pourra mieux faire que de marcher sur leurs traces.

Le bilan moral de la contrefaçon est donc, à certains égards, plus satisfaisant que son bilan matériel mais, comme le peu de bien dont elle a été la cause involontaire est fondé sur une injustice, nous ne lui en rapportons point l’honneur, et nous l’avons signalé seulement pour ne point laisser dans l’ombre aucune des faces de la grave question que nous avons entrepris de traiter.


Maintenant nous avons parcouru l’histoire de la contrefaçon belge depuis son origine jusqu’à nos jours ; nous l’avons montrée telle qu’elle est en réalité, et, sans dissimuler l’iniquité de son principe ni l’étendue du tort matériel qu’elle cause à la littérature française, nous avons cru devoir ramener à ses proportions véritables une industrie qui fonctionne depuis trop long-temps sous nos yeux pour que la prévention ou la distance ait pu nous tromper sur la mesure de ses forces actuelles et de ses progrès dans l’avenir De cet examen consciencieux et calme est résulté pour nous la conviction que la contrefaçon a passé les jours de sa prospérité, que ce sera son châtiment de vivre d’expédiens et de misère sous le dur régime de la concurrence, et qu’elle est poussée dans une voie fatale de ruine d’où il ne lui sera pas même permis de sortir par son anéantissement volontaire. Les intérêts qu’elle