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expédition, envoyée alors par la cour d’Espagne, constata que cette idée était chimérique.

Que l’Espagne était majestueuse et belle au XVIe siècle ! Que d’audace, que d’héroïsme et de persévérance ! Jamais on n’avait vu tant d’énergie, d’activité ; jamais non plus tant de bonheur. C’était une volonté qui ne connaissait pas d’obstacles. Une poignée d’hommes conquérait des empires sur des populations innombrables et courageuses comme celles du Mexique. Leurs entreprises matérielles étaient au niveau de leurs hauts faits sur le champ de bataille, et de leurs gestes politiques. Rien ne l’arrêtait, ni les fleuves, ni les solitudes, ni les montagnes, dont rien n’approche en Europe. Ils bâtissaient des villes superbes, et tiraient des flottes des forêts en un clin d’œil ; on avait vu Cortez, au siége de Mexico, lancer sur les lacs seize mille embarcations. On eût dit un peuple de géans ou de demi-dieux. On pouvait croire que tous les travaux propres à relier les climats ou les océans les uns aux autres allaient s’accomplir à la voix des Espagnols comme par enchantement, et puisque la nature n’avait pas ménagé de détroit au centre de l’Amérique, entre l’Atlantique et la mer du Sud, eh bien ! tant mieux pour la gloire de l’espèce humaine ! on y suppléerait par des communications artificielles. Qu’était-ce, en effet, pour des hommes pareils ? Cette fois c’en était fait ; il ne devait plus rester rien à conquérir, et la terre allait se trouver trop petite.

Certes, si l’Espagne fût demeurée ce qu’elle était alors, on l’eût vue en effet créer ce qu’on s’était flatté de trouver tout fait par la nature. Elle eût creusé un canal ou plusieurs canaux pour tenir lieu de ce détroit tant cherché. Les hommes de science le lui conseillaient. En 1551, Lopez de Gomara, auteur d’une Histoire des Indes « faite, dit M. de Humboldt, avec autant de soin que d’érudition, » proposait la réunion des deux océans par des canaux, en trois points qui sont précisément les mêmes où en ce moment on s’en occupe, ainsi qu’on le verra tout à l’heure : 1o Chagres, 2o Nicaragua, 3o Tehuantepec. Mais le feu sacré s’éteignit tout à coup en Espagne. La péninsule eut pour la gouverner pendant un long règne un prince qui mit sa gloire à emmailloter la pensée, et qui gaspilla une puissance immense en vains efforts pour l’enchaîner hors de ses domaines dans toute l’Europe. Ce fut Philippe II. De ce moment, l’Espagne engourdie devint étrangère aux innovations des sciences et des arts, à l’aide desquelles d’autres peuples, et particulièrement