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LES FEMMES ILLUSTRES DU xviie SIÈCLE.

école de science et de vertu, de foi solide et de vraie sagesse, jusqu’au jour où cette grande ame, déjà par elle-même hardie et extrême, rencontra une autre ame plus extrême encore, le sublime et insensé M. de Saint-Cyran, homme fatal qui introduisit dans Port-Royal une doctrine particulière, imprima à une œuvre simple et grande le caractère étroit de l’esprit de parti, et fit presque d’une réunion de solitaires une faction. Avec quel respect et quelle émotion je me plairais à recueillir les plus beaux passages de la mère Angélique ! Elle a beau s’anéantir dans le mépris d’elle-même et dans la fuite de toute vanité ; ses plus simples entretiens, ses lettres les plus familières, révèlent de loin en loin le fond de son ame, et contiennent çà et là des traits admirables de candeur, de fierté, de pathétique. Mais qu’on ne s’y trompe pas : tout ce qu’on a imprimé d’elle long-temps après sa mort a subi les corrections d’éditeurs qui ont effacé, pour le polir, son style inculte et négligé, et qui font parler, de 1630 à 1660, Mme Angélique Arnauld, comme ils parlaient eux-mêmes à Utrecht ou dans quelque coin du faubourg Saint-Marceau, vers le milieu du XVIIIe siècle. J’ai eu sous les yeux, j’ai copié et je pourrais faire connaître des autographes de cette Cornélie chrétienne, où son ame se montre à découvert dans sa grandeur naïve, sans avoir passé par la censure janséniste[1].

En avançant un peu dans le siècle, à la suite et à côté de la famille des Arnauld, nous trouverions celle des Pascal. Dans ce recueil, composé à ma guise, je ferais une place à part aux deux sœurs de l’auteur des Provinciales et des Pensées, Jacqueline et Gilberte, toutes deux parfaitement belles, ce qu’il est permis de ne pas mépriser,

Gratior et pulchro veniens in corpore virtus,

l’une spirituelle, passionnée et obstinée comme son frère, morte de chagrin à trente-six ans pour avoir signé le formulaire contre sa conscience : l’autre fière aussi, mais moins extrême, ayant gardé au sein d’une dévotion profonde toutes les affections de sœur, de femme et de mère ; l’une et l’autre écrivant sans art, mais toujours d’une façon distinguée et avec une élévation naturelle[2].

  1. Elle était fille du célèbre avocat-général Antoine Arnauld, sœur de Robert Arnauld d’Andilly, de Henri Arnauld, évêque d’Angers, du grand Arnauld, de la mère Agnès Arnauld, tante de M. de Pompone, de M. de Sacy, de la mère de Saint-Jean Arnauld, etc. Née en 1591, morte en 1661. Voyez surtout ses Lettres, Utrecht, 1742.
  2. Voyez mon livre : des Pensées de Pascal, appendice, p. 404, sqq.