Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
REVUE MUSICALE.

ment et de tact musical. Remarquez que nous ne parlons pas ici simplement du succès ; au point de vue du succès, le Déserteur est un chef-d’œuvre incomparable, une éblouissante escarboucle dont le moindre rayon efface la gloire de Joseph, de Médée et de Stratonice. Mais ne conciliera-t-on donc jamais ces deux choses : les convenances de l’art et le succès ? Est-il écrit que, dans l’ancien comme le nouveau répertoire, il n’y aura jamais de chaud et vigoureux enthousiasme que pour les œuvres où domine l’élément commun et bourgeois ? Sous ce rapport, le Déserteur devait incontestablement réussir. Ajoutez en effet à cette médiocrité originelle, dont je parle, un certain air de vétusté qui ne messied pas dans un théâtre dont les habitués causent pendant l’entr’acte du petit Philidor et des parties d’échecs qu’il leur gagnait, et vous aurez le secret de cette mirifique exhumation du chef-d’œuvre de Monsigny. Quant à la musique, c’est d’un larmoyant, d’un décousu, d’une platitude et d’un ennui sans exemple. Passe encore pour la partie comique : cette ariette de Montauciel au second acte a quelque grace, et M. Mocker la dit avec aplomb ; mais la partie sentimentale et pathétique, vit-on jamais rhapsodie pareille à celle-là ? Et M. Adam qui trouve le loisir de rajuster cette instrumentation chevrottante, l’auteur du Postillon de Lonjumeau qui se met de sang-froid à poudrer à neuf cette perruque oubliée sur un clavecin du dernier siècle ! Je m’étonne qu’on n’ait pas crié à la profanation, au sacrilége. Voyez un peu l’impertinence ! oser toucher au texte du maître, ajouter des trombones à l’orchestre du Déserteur ! Le thème semblait si bien fait pour inspirer ces hiérophantes intelligens qui se sont constitués les gardiens du sanctuaire du passé ! En tout ceci, l’esprit de réaction ne nous aveugle pas, personne plus que nous n’admire les richesses de l’ancien répertoire ; mais qu’on néglige ces richesses pour des pauvretés musicales qui n’ont aucun sens désormais, qu’on oublie Méhul pour Monsigny, Joseph et Stratonice pour le Déserteur, qu’à une époque où toute une génération nouvelle demande à se produire, on encombre la scène de pareils ouvrages, voilà ce que nous ne saurions comprendre. Ce que nous comprenons encore moins, c’est l’écho que le succès du Déserteur a trouvé dans la presse. Dire que les mêmes gens aux yeux desquels M. Auber ne compte pas trouvaient cela délicieux, que les mêmes gens qui vont hausser les épaules si vous leur parlez de Gustave, du Domino noir ou de la Part du Diable, exultent le mérite de cette œuvre musicale, dont la littérature de Berquin peut seule donner une idée ! Admirable procédé de la critique de notre temps, qui se sert des morts pour étouffer les vivans, et cela dans quelque champ qu’elle s’exerce, sous la barre du feuilleton comme dans la chaire du professeur de Sorbonne, que le vivant s’appelle Auber ou Victor Hugo.

La partition de Mina, l’une des dernières nouveautés que l’Opéra-Comique ait représentée, sans briller beaucoup par l’originalité des mélodies, se recommande néanmoins à l’estime d’un certain public curieux de l’élégance et du fini dans une œuvre d’art. M. Thomas, l’un des meilleurs élèves qui se soient formés à l’école de ce charmant génie auquel depuis trente ans l’Opéra-