Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
REVUE MUSICALE.

Ah ! madre mia ! deh ! involammi
Recami teco in ciel !

En général, M. de Candia excelle à rendre ces sortes d’invocations passionnées, et celle-ci me rappelait l’autre soir un passage du trio de Robert-le-Diable : Si je pouvais prier ! qu’il disait avec une expression rare. La scène dont je parle s’ouvre par un très bel effet, produit par les instrumens de cuivre. Inutile d’observer que cet effet n’appartient pas plus en propre à M. Persiani que tant d’autres mis en œuvre dans son opéra, et dont personne sans doute ne lui aurait su gré de s’abstenir. Le véritable auteur de cette combinaison harmonique est M. Donizetti, qui l’a employée pour la première fois, d’une manière éclatante, dans l’accompagnement d’un chœur de la Lucia qui passe inaperçu au Théâtre-Italien, et qu’en Allemagne un des chefs de la jeune école musicale jugeait devant moi digne d’être signé du nom de Beethoven. On distinguera aussi le début du trio qui sert de finale au second acte : Qual mano di gelo ! morceau d’un tour original, et que Ronconi, M. de Candia et Fornasari exécutent dans la perfection. Au troisième acte, la cavatine de la Persiani : Per te dimentico, est à coup sûr la plus incroyable merveille à laquelle le public des Italiens ait jamais assisté. Bien entendu qu’il ne s’agit point ici d’un morceau de musique, mais simplement d’un canevas disposé avec toute l’adresse et tout l’art du monde pour les fantastiques broderies d’un gosier sans pareil. J’ai dit fantastiques, et le mot convient. En effet, ce ne sont plus là des trilles et des gammes chromatiques, comme en dégoisent les autres cantatrices les plus agiles, les plus brillantes qu’on cite, la Sontag par exemple et Mme Damoreau, mais des fusées de notes à vous déconcerter, des fantaisies non moins éblouissantes dans l’ordre musical que celles qui s’échappaient du cerveau d’Hoffmann. Jamais, dans aucun rôle, la Persiani ne s’était livrée encore à de semblables tours de force, et cela se conçoit. Quel maître ira soupçonner dans un gosier humain, si subtil et si délié qu’il soit, des trésors de vocalisation qui doivent n’appartenir qu’au rossignol de mai ? Il n’y a que le mari, ou l’amant d’une prima donna pour lui donner de ces occasions de triomphe, parce que ceux-là seuls peuvent surprendre au vol et les noter les mille et un caprices où sa verve l’entraîne lorsqu’elle étudie seule à son piano. Il n’est pas de Sontag au monde qui, si on lui montrait écrits sur la partition les traits de la Persiani dans cette cavatine, ne commençât par hausser les épaules en s’écriant : C’est impossible ! et même, après l’avoir entendu, on se sent presque tenté de n’y pas croire. L’évidence ici ne change rien à l’affaire, et c’est un peu comme avec les somnambules, qui lisent par l’épigastre ; on a vu cela, mais c’est impossible. J’arrive à l’air d’Ernesto, le meilleur morceau jusqu’ici du répertoire de Fornasari, qui s’y montre moins chancelant qu’à l’ordinaire, et dit cette phrase large et posée :

Ei forse innalga per me una prece !
Ei forse implora il cielo per me,