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venu étaient distincts de l’Inde, de la Chine ou du Japon, quoique Pinzon et Vespuce fussent persuadés, comme Colomb lui-même, qu’ils avaient parcouru les côtes d’Asie contiguës au Cathay (c’était le nom que portait alors l’empire chinois en Europe).

Un mobile qui exerce toujours une grande influence sur les actions des hommes et les évènemens de l’histoire, la rivalité, la jalousie, la concurrence (ces différens noms représentent les nuances diverses bonnes ou mauvaises d’un même sentiment), poussait les Espagnols plus avant à l’ouest. Dans l’intervalle du second au troisième voyage de Colomb, mais à une époque telle qu’on ne put le savoir dans la péninsule ibérique qu’après que l’Amiral[1] se fut mis en route pour la troisième fois[2], un des plus grands hommes qu’ait vus naître le Portugal, Vasco de Gama, avait découvert la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance. Parvenus ainsi dans l’Inde d’Alexandre-le-Grand, dans la populeuse contrée que rendaient célèbre en Europe ses perles et ses épices, les Portugais s’étaient couverts de gloire, et avaient fait des conquêtes d’où ils avaient rapporté de grandes richesses. Jusque-là, au contraire, en cherchant ces mêmes régions, les navigateurs espagnols découvraient des espaces vastes sans doute, mais dont l’importance politique et commerciale était actuellement fort mince. Ils avaient à lutter contre la nature plus que contre les hommes, et cette lutte leur semblait sans gloire quoiqu’elle ne fût pas sans péril. Ils trouvaient des peuplades peu nombreuses, primitives et sans civilisation ; ils n’étaient entrés encore ni dans l’empire de Montezuma ni dans celui des Incas. Les succès de la cour de Lisbonne troublaient le sommeil de Ferdinand et de ses conseillers. Entre les hommes audacieux qui abondaient alors chez les deux peuples, l’émulation était la même qu’entre leurs souverains. L’esprit d’aventure et le désir de faire fortune d’un tour de main, qui est si vif de nos jours, mais qui alors était plus ardent encore, excitaient les esprits à se précipiter vers le pays des épices, où l’on s’imaginait qu’il n’y avait qu’à se baisser pour recueillir de la renommée et des trésors. Celui-ci, s’inspirant d’un sentiment plus noble, s’embarquait pour aller convertir des païens et arracher des ames à l’enfer ; celui-là était en quête d’une source merveilleuse qui avait

  1. El Amirante ; c’est le nom sous lequel Christophe Colomb est désigné dans l’Amérique espagnole.
  2. Le départ de Vasco de Gama est du 8 juillet 1497. Il doubla le Cap le 2 novembre 1497, et arriva à Calecut le 20 mai 1498. Le troisième départ de Colomb est du 30 mai 1498.