Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.
175
REVUE MUSICALE.

être aussi l’exécution véritablement merveilleuse de cette musique fait-elle qu’on s’en exagère la valeur. Ce troisième acte, d’un mouvement plein d’intérêt, n’a que trois interprètes, la Grisi, Salvi et Ronconi surtout qui, presque inaperçu dans le courant de l’ouvrage, se redresse tout à coup dans toute la fougue de l’inspiration la plus véhémente, dans toute la puissance de la voix la plus tragique et la plus passionnée. Il faut remonter aux souvenirs de la cavatine de Niobé pour se faire une idée de l’explosion d’applaudissemens qui éclate sur la strette de son air, que la salle entière redemande toujours. Puis vient le trio du dénouement, l’un des plus dramatiques morceaux de M. Donizetti, et dont ces trois voix de baryton, de soprano et de ténor portent l’effet jusqu’à l’enthousiasme. — Avant Maria di Rohan, le Théâtre-Italien avait donné pour les débuts de Fornasari le Belisario du même auteur, et si le premier de ces deux opéras se rattache à la série des bonnes compositions de M. Donizetti, c’est à coup sûr à la catégorie des pires qu’appartient le second. Si l’on excepte le duo pour basse et mezzo soprano, et la cavatine de soprano, deux morceaux qui depuis cinq ans traînent sur tous les pianos, la partition de Belisario n’a pas une phrase qu’on puisse remarquer. Cela est monotone et languissant, mais d’une monotonie commune, d’un languissant vulgaire, et qui ne prend même pas la peine de se donner pour prétexte la recherche d’un certain style admiratif que la nature du poème excuserait. De sorte que vous passez là trois heures dans votre stalle solitaire sans pouvoir faire autre chose que bâiller, car le monde dilettante, pour si fanatique qu’on le tienne, ne se laisse point prendre deux fois à pareil piége. Quelle idée aussi d’aller mettre en musique le tableau de David ! L’agréable personnage pour contribuer à varier les situations du drame que ce pauvre aveugle qui, faute d’interlocuteur, passe son temps à chanter des duos avec son Antigone ! Ce rôle de Belisario, si larmoyant et si décoloré qu’il soit, est encore le seul qu’on rencontre dans cette partition, écrite sans doute pour quelqu’une de ces troupes incomplètes d’Italie où le virtuose absorbe à lui seul toutes les ressources du théâtre : il n’en faut pas davantage pour s’expliquer comment Fornasari devait choisir pour ses débuts un semblable opéra. On connaît en effet la prédilection de tous les chanteurs pour les partitions qui n’ont qu’un rôle, prédilection qui se hausse d’ordinaire à l’enthousiasme lorsqu’au mérite de primer tous les autres le rôle en question joint celui de donner son nom à la pièce. Fornasari fait valoir comme il peut ce triste rôle de Belisario, dont il chante habilement certains morceaux, entre autres le célèbre duo du second acte. Cependant, quelques bonnes qualités qu’on se plaise à lui reconnaître, Fornasari n’appartient pas encore à cette classe de virtuoses éminens auxquels un talent hors ligne semble parfois donner le privilége d’imposer au public de détestable musique. Il a donc prudemment agi en abandonnant au plus vite son choix du premier jour pour continuer ses débuts dans Assur de la Semiramide, où du reste il s’en faut qu’il puisse entrer en lutte avec les souvenirs de La-