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CRITIQUE HISTORIQUE.

et, en les réduisant ainsi à leur plus simple expression, on est frappé de leur peu de valeur. M. Bazin en a suivi pas à pas la longue filière, en conteur élégant, sûr de lui-même, abondant sans prolixité, et consciencieux sans minutie. Il entre de prime abord dans le cœur du récit ; il expose avec un art infini, avec des nuances exquises, en écrivant l’histoire de l’âge d’or, les diverses situations de tous ces hommes de cour, qui s’imaginaient être méconnus parce qu’on ne réparait pas avec assez de munificence à leur profit les injures du passé. Il raconte comment l’idée du pouvoir était alors si mal définie malgré les sanglantes exécutions de Richelieu ; comment les liens qui unissaient le monarque à l’élite de ses sujets offraient, en dépit du supplice de Biron, de Montmorency, de Cinq-Mars, une telle élasticité ; comment la rébellion à main armée était encore si peu considérée comme un déshonneur dans une certaine caste sociale, que tout gentilhomme se croyait en droit de réagir contre le système despotique de l’éminence rouge, et de revendiquer sa part de souveraineté. On respire de loin un étrange parfum d’agitation ; on devine que le sommeil des premières années de la régence ne peut durer ; on voit déjà poindre l’heure du réveil. Toutefois peut-être manque-t-il quelques traits essentiels à ces données préliminaires ; peut-être eût-il fallu, pour la complète intelligence de l’époque, présenter une sorte de tableau tout à la fois social, politique et administratif de la France au commencement du règne de Louis XIV. L’historien avait à nous fournir d’intéressans détails sur les progrès de la centralisation rêvée par Richelieu, sur le mécontentement sous des populations écrasées pendant dix-huit ans, mais emportées encore, selon la belle expression du coadjuteur de Retz, par le mouvement de rapidité que le vigoureux ministre avait imprimé à l’autorité royale. Il pouvait interroger à mesure les symptômes de la réaction qui s’opérait dans les provinces contre les intendans, agens dévoués du pouvoir central, fonctionnaires hostiles au maintien des coutumes locales, étrangers odieux à leurs subordonnés, et surtout aux trésoriers, aux élus, à tous les protégés de la magistrature qu’ils avaient spoliés. Il y aurait eu en outre quelque utilité à constater la position respective de la royauté toujours envahissante, et de la gentilhommerie toujours disposée à se lever en faveur de l’indépendance féodale ; à faire ressortir les causes de cette antique et profonde inimitié qui existait entre l’aristocratie d’épée et celle de robe et qui bientôt allait paralyser les plus menaçantes démonstrations de la fronde ; à préciser les mobiles divers et les aspirations de la masse bourgeoise qui avait puisé dans les souvenirs de la ligue un sentiment confus de sa valeur numérique avec l’instinct révolutionnaire d’une meilleure destinée. M. Bazin n’a pas entièrement laissé dans l’ombre tout ce grand côté de la question sociale ; mais il s’est contenté d’une indication sommaire, sans preuves décisives, et sans faits à l’appui.

Du reste, l’auteur de l’Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin ne procède jamais par voie de synthèse ; il s’inquiète fort peu du point de vue philosophique, et, à vrai dire, le sujet, exclusivement nourri de petits incidens et d’anecdotes individuelles, n’y aurait guère prêté. La devise