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eu pour cause que la vieille hostilité des intérêts royaux et des exigences de la magistrature. À cette heure, la noblesse se met de la partie, et les gentilshommes accourent en foule sous les drapeaux de la fronde. Les plus grands seigneurs de France, M. et Mme de Longueville, le prince de Conti, le duc de Bouillon, et son frère le loyal Turenne, le duc d’Elbeuf, etc., épousent, dans un intérêt égoïste, les ressentimens des gens de robe ; bourgeois et duchesses se mêlent au son des violons à l’Hôtel-de-Ville, tandis que la royauté appelle à son aide toutes les fidélités ébranlées. On lève des soldats par ordre du parlement, on frappe des contributions, on escarmouche plus ou moins vaillamment autour de Paris ; on écoute avec faveur les propositions de l’envoyé de l’archiduc, c’est-à-dire de l’étranger. Et pourquoi ? comment la trahison est-elle à l’ordre du jour ? Point d’états-généraux, point de prévôt des marchands à la hauteur de Marcel, point d’évêque Lecoq, point de Jean de Pecquigny, champions hardis de la liberté, l’un au nom du clergé, l’autre au nom de la noblesse. Où sont les descendans des Caboche ? où sont les Jacques ? La ligue du bien public n’est pas invoquée ; le mot de république n’est pas même prononcé. Où va-t-on et que veut-on ? Le prétexte, c’est l’expulsion de ce prélat souple et rusé qui a recueilli, avec l’héritage de Richelieu, la haine et le mépris attachés au souvenir d’un autre Italien devenu maréchal d’Ancre sous Louis XIII ; le but, c’est la satisfaction des mécontentemens individuels. L’enfant mutin veut la guerre civile, va pour la guerre civile, et quelle guerre ! Peu à peu, tout ce bruit s’apaise ; la paix est conclue entre le gouvernement et les rebelles sous les auspices du grand Condé, qui n’a pas encore dévié de la ligne du devoir, bien qu’elle ne soit pas celle de la popularité. Mais, dès ce moment, le héros de Rocroy et de Lens, fier des services rendus et peut-être tenté par l’appât du bandeau royal qui ceint une si jeune tête, s’apprête à devenir le pivot d’une rébellion dernière, et à rallumer énergiquement la guerre civile. Les rôles se modifient, les péripéties s’accumulent, les mazarins se réconcilient avec les frondeurs ; les princes du sang sont enfermés au donjon de Vincennes, et, par un revirement soudain, l’opinion publique se déclare contre eux. Quelques jours après, c’est encore au tour de Mazarin de fléchir devant leur ascendant et de s’éloigner du royaume. Condé redevient le maître, il dispose à son gré des faveurs royales, il se fait largement sa part ; il multiplie les demandes au profit de ceux de son parti, et lorsqu’on le croit rattaché pour jamais, en raison de son omnipotence même, au trône du jeune roi qui atteint sa majorité, il sort précipitamment de Paris, et jette son cri de guerre par inquiétude d’humeur. Alors la fermentation recommence ; le parlement de Paris fulmine des arrêts violens contre le cardinal proscrit, qui est rentré en France suivi d’un corps d’armée ; le sang coule au faubourg Saint-Antoine, et Condé vaincu soulève l’écume populaire, qui procède à l’Hôtel-de-Ville par le massacre et par l’incendie ; il finira par se joindre aux ennemis du dehors, et sa retraite au sein de l’armée espagnole sera le dernier acte du drame.

C’est là toute la substance des faits qui remplissent les temps de la fronde,