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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

un système individuel, confine à tous les systèmes, où chacun est maître sans avoir de disciples, où l’on ne rencontre que la contradiction, quoiqu’on parle toujours au nom de l’autorité et de l’unité.

Voyons d’abord les mondains, car ce sont eux qui s’annoncent avec le plus de ferveur comme les véritables soutiens du catholicisme, et qui abordent le plus résolument les difficiles problèmes de la philosophie religieuse. Nous le disons à regret, ce qui les distingue avant tout, ce n’est ni la science positive ni l’orthodoxie, mais bien l’excentricité. L’école catholique a réclamé comme un des siens M. Blanc Saint-Bonnet, et elle a rangé parmi les œuvres les plus notables de notre époque le livre de l’Unité spirituelle. Il est juste sans doute de reconnaître dans le travail de M. Saint-Bonnet des qualités sérieuses : la pensée qu’il poursuit d’étudier l’homme en Dieu, la société dans l’homme, et dans la société le but et l’objet de la création, ne manque ni d’élévation, ni de grandeur, mais en réalité, M. Blanc Saint-Bonnet, rêveur solitaire qui ne s’est point initié par des études suffisantes aux grandes questions philosophiques, n’est qu’un théosophe de la famille de Saint-Martin. Le plus souvent, au lieu d’une discussion scientifique, il écrit des élévations : sa philosophie, il le dit lui-même, a été pensée avec le cœur. Il est arrivé de là qu’en se laissant entraîner par les aspirations les plus irréfléchies, il s’est souvent perdu dans le monde supra-sensible comme dans un labyrinthe inextricable, tantôt pour y chercher la véritable situation de l’enfer, tantôt pour constater que les anges et les femmes se ressemblent dans la partie supérieure du corps, ou pour nous annoncer que nous touchons au règne du Saint-Esprit. Enfin, M. Saint-Bonnet, adepte fervent d’une sorte d’illuminisme humanitaire, se place à tout instant sur le bord des abîmes sans fond du panthéisme mystique, et cette tendance a complètement échappé aux critiques catholiques, qui sont cependant à l’affût des panthéistes. M. Roselly de Lorgues s’attaque également aux plus hauts problèmes, et, dans la Mort avant l’Homme, il explique, en les modifiant parfois, les dogmes de la déchéance et de l’expiation. Il semble que pour M. Roselly de Lorgues les mystères les plus profonds n’ont plus de voiles ; mais comment croire à son infaillibilité, quand il se trompe sur des questions de baccalauréat, et qu’il confond Xénophon, le commandant des dix mille, avec le philosophe Xénophanes, chef de l’école éléatique ? Il était difficile d’aller plus loin ; pourtant M. Roselly de Lorgues s’est vu dépassé par M. Guiraud, qui, dans sa Philosophie catholique, a donné le dernier mot de l’incroyable. Ce livre n’a été pris au sérieux que par les protestans, sans doute comme argument contre le catholicisme. Ici, d’ailleurs, comme partout, c’est encore l’anarchie dans la confusion, et tandis que M. Roselly de Lorgues récuse, sous prétexte de panthéisme, la théorie du progrès, M. Guiraud, de son côté, nous promet, non plus le progrès dans la sphère des perfectionnemens moraux, intellectuels, politiques, en un mot dans la sphère des faits humains, mais une véritable transfiguration qui nous fera passer à l’état d’anges, et nous délivrera du poids gênant de nos entrailles. Nous revenons ainsi au globe perfectionné du