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se retrouvaient dans la tradition universelle, comme témoignage d’une révélation primitive. Mais, en poussant cette méthode à des limites extrêmes, on est arrivé à donner, même dans les sermons, les impuretés du paganisme, spurcitiæ paganorum, comme preuves des mystères catholiques, à étayer la Bible par les livres sacrés de l’Inde et de la Chine, le dogme de la déchéance par la fable de Prométhée, la transgression d’Ève et la révolte de sa curiosité par la fable de Pandore, le paradis terrestre par le règne de Saturne, le péché originel par Œdipe. Ce procédé est surtout familier à l’auteur de la Religion constatée universellement, M. de La Marne, qui fait sa spécialité de rechercher dans toutes les croyances du vieux et du nouveau monde les dogmes catholiques, et qui appuie sur cette base, repoussée par Rome, l’autorité du saint-siége. Rome, en effet, a raison de protester contre ce système, car tous les grands apologistes, Bossuet et Pascal entre autres, ont vu dans les révélations de l’ancienne et de la nouvelle alliance deux faits indépendans et absolus : si les dogmes de la chute de l’homme, de la réhabilitation par un homme-dieu, de la Trinité, ont constitué de tout temps la croyance universelle du genre humain, que devient la révélation par le Christ ?

Les apologistes qui ont invoqué les sciences naturelles en faveur de la religion se sont attachés surtout à la géologie. Le déluge a été garanti par l’autorité de Cuvier, et de la sorte c’est l’élément scientifique, c’est-à-dire un élément toujours variable, toujours incomplet, qui est devenu en matière de foi l’unique fondement de la croyance : c’est le système qui fait accepter le miracle. Cependant, si le système qu’on invoque aujourd’hui est combattu, infirmé demain par un système nouveau, viendra-t-on recommencer la concordance et la démonstration ? N’est-ce pas orgueil de croire qu’on peut ainsi, sans être pris de vertige, se pencher sur tous les abîmes, contrôler tous les miracles ? Et de quelle autorité sera le contrôle, puisque ces docteurs déclarent tantôt qu’ils sont théologiens, mais qu’ils ne sont pas géologues, tantôt qu’ils sont géologues, mais qu’ils ne sont pas théologiens, quelquefois même qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre[1] ? Nous leur dirons donc avec M. l’archevêque de Paris que « c’est un malheur pour la religion lorsqu’elle a pour apologistes des écrivains aussi peu préparés à la défendre[2]. » Nous leur rappellerons en même temps ce mot du dernier des pères de l’église : « Ils décident de tout sans hésiter jamais, parce qu’ils ne savent pas et qu’ils se figurent ne rien ignorer de ce qui est dans le ciel et sur la terre. »

En effaçant les limites qui séparent les faits naturels et les faits révélés, en essayant à tout prix une concordance qui n’est point encore possible, on paralyserait la science, si elle consentait à s’annihiler devant la théologie ; on compromettrait la foi en la rendant responsable des erreurs ou des variations

  1. On peut voir la Cosmogonie de la Révélation, par M. Godefroy, 1841 ; — les Élémens de Géologie, par M. Chambau, etc.
  2. Instruction pastorale sur la composition, l’examen et la publication des livres. Paris, 1842 ; in-4o, pag. 10.