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REVUE DES DEUX MONDES.

En déployant dans sa mission une fermeté tempérée par la pitié naturelle que lui inspirait le spectacle d’une telle misère, M. Barrot est parvenu à obtenir du général Hérard une somme de 1,500,000 fr. On dit le nouveau président animé d’intentions droites et doué d’une grande énergie, mais il passe pour être complètement dépourvu de connaissances administratives et d’intelligence politique. Chef nominal d’une insurrection militaire, il subit déjà, quelques efforts qu’il fasse pour s’y dérober, les exigences des hommes qui l’ont élevé au pouvoir pour en faire l’instrument de leur fortune. Une lutte prochaine est à prévoir entre le président de la république et ceux qui l’ont appelé à ce poste éminent.

Au milieu de crises dont il est impossible de pressentir le terme, les intérêts des colons français ne peuvent manquer d’être gravement compromis. Il appartient au gouvernement de prendre à cet égard des garanties et de s’assurer quelques compensations dans l’intérêt général de notre navigation et de notre commerce. Peut-être un jour, lassée de ses longues souffrances et d’une anarchie sans espoir, la population haïtienne viendra-t-elle à tourner ses regards vers l’Europe, et à désirer qu’une intervention protectrice la dérobe à une perte inévitable. C’est là une éventualité qu’il ne faudrait peut-être pas provoquer, mais dont il serait imprudent de répudier d’avance le bénéfice. D’autres puissances maritimes seraient, à défaut de la France, trop disposées à en profiter. Le ministère fera bien d’y songer. Il était, à son début, fort occupé de politique coloniale. Il avait rêvé gloire et conquête sur les points du globe où l’Angleterre a pu laisser quelque chose à glaner aux nations rivales. Il voulait défricher la Guyane en même temps que s’établir aux îles Marquises, et l’on nous menaçait déjà d’un dispendieux établissement dans les mers de Chine. Quelques comptoirs fortifiés sur la côte d’Afrique sont le seul fruit vraiment utile de ces dispositions peu méditées. Profiter de la position spéciale de la France pour lier en temps opportun des rapports avec Saint-Domingue serait assurément une pensée plus sérieuse que celle dont on poursuit encore l’application à Mayotte et dans l’archipel Pomotou. Le triste épisode de Taïti et le désaveu de l’amiral Dupetit-Thouars ont du reste sapé dans ses bases ce fragile édifice, et la politique modeste aura désormais l’esprit de son état.


— L’Académie française a nommé aujourd’hui MM. Sainte-Beuve et Prosper Mérimée aux fauteuils laissés vacans par la mort de Casimir Delavigne et de Charles Nodier ; ce sont là d’heureux choix. Nous surtout, nous avons à nous féliciter de voir l’Académie appeler dans son sein deux de nos amis et collaborateurs. À la première vacance, M. Alfred de Vigny sera admis, nous l’espérons, et le concours des nouveaux élus ne manquera pas à une candidature qui réunit tant de titres glorieux et incontestables.


V. de Mars.