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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 mars 1844.


Un vote inattendu est venu tromper les prévisions publiques : il faut le comprendre et en mesurer la portée véritable. Les interpellations relatives à Taïti avaient soulevé un débat dont l’issue n’était pas douteuse, si la question ministérielle posée par M. Ducos à la fin de la première séance n’avait eu pour résultat d’en changer brusquement le cours. La chambre, associée au sentiment public, déplorait l’acte consommé par le cabinet en l’absence de renseignemens suffisans ; elle était vivement blessée de l’empressement mis à condamner des hommes envoyés sans instructions à quatre mille milles de la patrie, dans une situation délicate et difficile ; son équité ne lui permettait pas de comprendre qu’on leur refusât le droit de constater les faits et de se justifier devant le gouvernement qui les avait récemment déclarés dignes de la plus entière confiance. Comment son sens intime n’aurait-il pas été froissé par un désaveu qui ne portait pas seulement sur les actes, mais qui infirmait le droit même en vertu duquel MM. Dupetit-Thouars et Bruat avaient agi ? La chambre eût compris la clémence et se révoltait contre la faiblesse. Elle était disposée à admettre que les réparations dues à la France avaient peut-être été poussées trop loin : pour le parlement comme pour le pays, quelques faits restaient obscurs, quelques circonstances avaient besoin d’être éclaircies. On eût donc compris et approuvé l’envoi d’un agent supérieur chargé de compléter l’instruction et muni de pleins pouvoirs pour aviser sur les lieux mêmes : personne n’aurait condamné des concessions faites à Taïti en parfaite connaissance de cause, en dehors de l’action de tout cabinet étranger ; mais le parlement s’est ému avec la France tout entière d’un désaveu jeté, dans les formes les plus acerbes, à des marins qui ont agi sous l’inspiration de vives et légitimes susceptibilités.

Lorsqu’on engage son pays dans une entreprise lointaine et difficile, et qu’on aspire au rôle de colonisateur, il n’y a, pour un pouvoir intelligent, qu’une seule alternative. Il faut prévoir toutes les éventualités et donner des instructions applicables à toutes les circonstances, en interdisant rigoureusement de les dépasser, ou bien on doit se montrer décidé à couvrir d’une