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REVUE MUSICALE.

démenti la règle. Voici bien des modulations ingénieuses, d’habiles dessins dans l’orchestre, des accompagnemens pleins de délicatesse et d’esprit ; mais la verve, le mouvement, l’entrain des jours passés, où sont-ils ? Qu’est devenu ce motif leste et rond, franchement bouffe, quoiqu’un peu trivial, du Postillon de Lonjumeau et du Chalet ? M. Adam veut être de l’institut, il en a certes tous les droits, et cet opéra l’en rapproche. Si l’auteur de Cagliostro a prétendu faire une partition académique, dans les conditions du genre s’entend, nous ne pouvons que l’en féliciter ; la voix de M. Halévy lui est acquise. Quant à la pièce, vous la composerez vous-même sur le titre, pour peu que vous soyez au fait de certaines combinaisons inévitables que le cours des choses doit nécessairement ramener à des périodes plus ou moins déterminées. L’esprit humain ne saurait se mettre en frais continuels d’invention, et M. Scribe tient en réserve d’infaillibles recettes qu’il applique chaque fois que le hasard du sujet en indique l’usage. S’agit-il par exemple d’un alchimiste, d’un de ces êtres voués aux recherches occultes, attendez-vous à voir les poudres narcotiques et autres jouer leur rôle et donner lieu aux plus piquans effets, sinon aux plus neufs. Tout cela est rangé, classé, étiqueté dans la cervelle de l’ingénieux auteur de tant d’opéras-comiques, absolument comme les fioles et les onguens dans la boutique d’un apothicaire. Je le répète, vos souvenirs de la Marquise de Brinvilliers (mais il ne vous en reste pas, et c’est bien sur quoi M. Scribe a compté), vos souvenirs vous suffiraient au besoin pour construire à part vous le drame de Cagliostro. Il y aura là naturellement une vieille douairière fort ridicule, tante ou grand’mère de quelque adorable nièce amplement pourvue de millions, et dont le charlatan recherchera la main, dans quel but ? on se l’imagine. Pour se rendre la matrone favorable, Cagliostro lui proposera de la rajeunir, laquelle ruse sera découverte à point et déjouée par un petit cousin de chevalier, personnage indispensable dans une action qui se passe au XVIIIe siècle. N’oublions pas une scène de magnétisme fort habilement traitée par le musicien et qui couronne l’œuvre. Jusqu’ici nous n’avions vu que des somnambules en déshabillé nocturne et courant sur les gouttières comme des chattes ; mais cette fois c’est le magnétisme à grand orchestre, le vrai magnétisme imposant les mains au sujet endormi, et dégageant, au bruit des violons en sourdine, des torrens de fluide électrique. Au fait, pourquoi le magnétisme ne monterait-il pas sur le théâtre ? Nous l’avons, Dieu merci, assez souvent rencontré dans le monde pour ne plus nous étonner de ses passes. On se souvient de cette comédie qui se renouvelait presque chaque soir l’hiver dernier. Vous ne pouviez entrer dans un salon sans assister à quelque scène analogue à celle qu’on représente au troisième acte de Cagliostro. Un individu à manches retroussées torturait, sous prétexte de l’endormir, une pauvre créature chétive qui suffoquait. On n’imagine rien de plus lugubre qu’un pareil délassement. D’ordinaire, pour le plus grand succès de l’expérience, on éteignait les bougies, et les choses se passaient à ce demi-